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qua-t-on doucement, les mots d’offensive et défensive ne figurent que sur le titre de l’instrument[1]; dans le corps même du traité, « conçu du reste en termes très généraux, » il n’est parlé que d’une assistance mutuelle pour le cas où la Prusse aurait déclaré la guerre à l’Autriche ; pareille éventualité n’ayant pas eu lieu, il n’y avait pour la cour de Bei-lin aucune obligation stricte de défendre l’Italie contre une agression autrichienne… « Il est vrai, ajoutait le comte Usedom, que M. de Bismarck personnellement ne partageait qu’à demi cette opinion : il croyait qu’il était de l’intérêt (non pas du devoir) de la Prusse de ne pas abandonner l’Italie ; aussi en a-t-il fait une question de cabinet et était-il décidé à offrir sa démission !!… »

L’incident est curieux assurément. Il prouve d’abord que le Brandebourg, « pays plat et évangélique, » ainsi que l’avait appelé un jour Henri Heine, a ses Escobar tout aussi bien que tel pays ultramontain ; il fait voir aussi au milieu de quels écueils et à travers quels détroits le grand pilote de l’Allemagne avait à mener sa barque et son césar. En vérité, il était tout autrement difficile, le rôle de M. de Bismarck en 1866, que celui du comte Cavour en 1859 auquel cependant on n’a cessé de constamment le comparer ! En somme, l’illustre Piémontais a eu pour lui vent et marée. Il s’était assuré le concours de la plus grande puissance militaire de son temps ; l’opinion libérale de l’Europe lui était favorable, toute l’Italie recevait de lui le mot d’ordre, il était adoré de son petit pays ; les chambres, la cour, le roi, le suivaient avec confiance, avec un abandon presque entier. Qu’on veuille bien mettre en regard les conditions faites par un sort inexorable au Cavour de la Poméranie ! Comme secours étranger, il n’avait que cette puissance née d’hier dont il fallait payer jusqu’à l’équipement, et l’on nous a révélé depuis le cas que faisait à ce moment même l’état-major prussien de la valeur de l’armée transalpine[2]. L’Europe laissait parler sa conscience, puisque le succès n’avait point encore prononcé, et elle n’hésitait pas à stigmatiser la politique impudente de « l’Alberoni du nord. » La Germanie était indignée, frémissante à l’idée d’une lutte « fratricide ; » la commission permanente des chambres allemandes qui siégeait à Francfort (le comité des 36, ainsi qu’on le nommait) protestait avec force contre

  1. Quelques publicistes allemands prétendirent même plus tard que ce titre n’avait été ajouté qu’après coup et d’une autre main!
  2. « Il n’était guère permis aux Italiens d’espérer conquérir directement la Vénétie avec ses forteresses ; ils ne pouvaient compter s’en rendre maîtres que si l’état général de la guerre (en Allemagne) contraignait l’Autriche à leur abandonner le pays. » Relation de l’état-major prussien sur la campagne de 1866.