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chie, et la propagande des nationalités, très ravivée depuis cette époque, y empêchait aussi l’affermissement de tout pouvoir nouveau. MM. Goluchowski, Schmerling, Belcredi, avaient tour à tour et vainement tenté d’asseoir un régime quelconque au milieu de ces provinces d’origine diverse dont les idées d’autonomie et de décentralisation étaient puissamment encouragées par le souffle du temps et les embarras extérieurs du gouvernement. Il n’y avait qu’un seul moyen d’en imposer à ces élémens discordans et agités, de les réunir de nouveau sous l’autorité de l’empereur : c’était de rendre à la couronne son prestige effacé, de relever les armes de l’Autriche par une guerre glorieuse. Ainsi pensaient des hommes influens à la Burg, le comte Maurice Esterhazy entre autres, dont l’opinion était à ce moment d’un grand poids dans les conseils de François-Joseph. Il n’y avait aussi que la guerre, ajoutait-on encore, pour retirer des flancs de la monarchie cette flèche empoisonnée de la question italienne; seule, une victoire sur la Prusse pourrait permettre à la dynastie des Habsbourg de faire abandon de la Vénétie d’une manière également honorable et avantageuse. Et c’est ainsi que mûrissait lentement une combinaison étonnante que la politique française n’avait cessé de cultiver avec soin dès le printemps, et dont elle finit par cueillir le fruit au moment même où échouait la tentative, du reste peu sincère, d’un congrès.

En effet, tout en refusant de soumettre la question vénitienne à l’arrêt d’une conférence, le cabinet de Vienne continuait avec celui des Tuileries sur le même sujet une négociation secrète qui datait déjà de plusieurs mois. Dans un document dont il a été donné ici plus d’un passage, dans ses instructions aux ambassadeurs d’Autriche touchant la proposition d’un congrès (1er juin), M. de Mensdorf, après avoir établi que la maison de Habsbourg ne pourrait céder Venise ni devant une pression morale, ni devant une offre d’argent, avait eu cependant soin d’ajouter : « Si malheureusement la guerre venait à éclater, si la Providence, bénissant les drapeaux de l’Autriche, amenait par des succès militaires la consolidation de sa puissance, si son ascendant moral en Europe se relevait, et si des remaniemens territoriaux s’effectuaient à son avantage, alors l’empereur, notre auguste maître, pourrait, usant avec modération de la victoire, consentir à renoncer à une de ses anciennes possessions, et, dans l’intérêt de la pacification générale, souscrire à des concessions qu’il ne saurait maintenant accorder à des menaces. » Ce langage, l’Autriche l’avait tenu au souverain des Français dès le mois d’avril[1]. Certes elle ne cherchait ni ne désirait la rupture

  1. C’est là évidemment la source de la singulière version qui a cours en Italie, à savoir que l’Autriche avait offert de céder la Vénétie dès le printemps, et que cette offre était parvenue au général La Marmora dans la nuit du 4 au 5 mai (le prince Napoléon était arrivé le 4 au soir à Florence). Les Italiens pressent ici beaucoup le sens des mots : ni alors, ni depuis, l’Autriche n’a pensé à faire l’abandon de Venise sans une guerre et sans une compensation territoriale: mais dès le mois d’avril elle indiquait une pareille éventualité en cas de guerre et d’une compensation qui en serait le résultat.