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coup sûr. « Poser la question de savoir où trouver les compensations, disait le comte de Mensdorf dans une missive très bien faite[1], c’est indiquer les difficultés. Parlerait-on de la Turquie? de l’Allemagne? L’Autriche est trop éloignée de désirer la réalisation de pareilles éventualités ; elle préfère avant tout que chacun garde ce qui lui appartient légitimement. » — Et quelle est en somme, se demandait-on à Vienne, la perspective finale, l’issue probable des délibérations auxquelles on nous invite de prendre part? Les résistances naturelles de nos plénipotentiaires dans la question de Venise auront infailliblement pour résultat d’empêcher le succès de la conférence, d’irriter les cours neutres, la cour des Tuileries plus que les autres, et de faire peut-être entrer la France dans la coalition que la Prusse et l’Italie ont déjà formée contre nous ! « L’Autriche, disait dans la même missive M. de Mensdorf, ne peut aujourd’hui, dans un congrès, envisager la question italienne et celle de Venise, qui en fait partie, qu’au point de vue du droit tel qu’il ressort des traités. En se plaçant sur ce terrain des traités, elle ne saurait le faire à demi sans affaiblir elle-même ses argumens et sa cause; elle ne pourrait admettre une discussion sur les affaires d’Italie qu’en prenant pour point de départ des traités (ceux de Villafranca et de Zurich) dont la non-exécution est l’origine de la situation actuelle. Une pareille argumentation, la seule que nous puissions employer, nous susciterait à chaque pas des difficultés, fournirait à nos adversaires des armes pour rejeter uniquement sur nous la faute de l’insuccès de la conférence. Plus les espérances de la paix auront été accrues par l’ouverture du congrès, plus vifs seront les reproches qu’on nous adressera pour l’avoir fait échouer... »

Ainsi parlait l’Autriche, qui se croyait dans son droit, qui se croyait forte aussi, assez forte même pour accepter la lutte avec la Prusse et l’Italie réunies, et qui maintenant était déjà décidée à accepter une telle lutte. Après avoir donné les preuves d’une longanimité sans exemple, fait à la cause de la paix les sacrifices les plus douloureux et défendu jusqu’au dernier moment le terrain des traités, on était enfin arrivé dans la Burg à se résigner à la guerre, à l’envisager même comme une extrémité glorieuse et salutaire. C’est que la situation faite à l’empire des Habsbourg depuis Villafranca ne gênait pas seulement sa politique au dehors, elle entravait jusqu’à ses affaires intérieures. La campagne malheureuse de 1859 avait ébranlé l’ancien pouvoir militaire dans la vieille monar-

  1. Instructions aux ambassadeurs de l’Autriche près les cours de Paris, Londres et Saint-Pétersbourg, 1er juin 1866. — Ajoutons que M. de Mensdorf résumait ici les argumens qui avaient été produits dans le cours d’une solennelle délibération en présence de l’empereur François-Joseph. Personnellement le ministre des affaires étrangères à Vienne aurait voulu qu’on acceptât la proposition d’un congrès.