Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 77.djvu/583

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

de vaudeville s’éveillaient en foule dans son esprit. Il jeta plus de vingt plans sur le papier sans interrompre le grand ouvrage.

Jamais il n’avait eu plus de temps, chose bizarre. Il trouvait moyen de répondre aux lettres des amis et des indifférents eux-mêmes ; il écrivait à tort et à travers. Sa plume était taillée et l’encrier rempli, rien ne lui coûtait plus.

Son humeur semblait plus égale, son esprit plus riant, son cœur plus tendre qu’aux jours de grand loisir et de repos absolu ; il prodiguait les témoignages d’affection à sa femme. Loin de vouloir se séquestrer dans son travail comme tant d’autres, il insista pour que la maison fût ouverte, il attira la foule et fit la joie autour de lui. On le voyait à table, à la chasse, aux promenades champêtres, plus vivant, plus gaillard, plus pétillant que jamais. C’était l’être puissant, multiple, prêt à tout, que j’avais admiré, non sans un peu d’effroi, le soir de notre première rencontre ; mais il ne revoyait pas Célestin sans qu’un nuage imperceptible vint assombrir sa belle humeur.

Un jour qu’il était seul avec l’octogénaire, il lui dit à brûle-pourpoint : « Mon cher monsieur, ce livre avance, et je vous avertis qu’il paraîtra.

— Grand bien vous fasse, monsieur !

— En somme, cette publication ne vous cause aucun tort, avouez-le !

— Ce n’est pas de moi qu’il s’agit. L’homme a la liberté du bien et du mal ici-bas.

— Dites-moi franchement votre opinion. Pensez— vous qu’avant mon mariage j’aie pris aucun engagement envers vous ?

— Oui, mais que vous importe ?

— Il m’importe beaucoup, sacrebleu !

— Le monde est à vos pieds ; vous n’avez pas besoin de l’estime d’un pauvre vieillard comme moi.

— Ah ! tout beau Je prétends être estimé de tous, sans exception, mon brave homme. Pour qu’un engagement soit valable, il doit être fondé en raison. Si je vous avais demandé la main d’Hortense, et si vous m’aviez fait vos conditions, je les tiendrais pour sacrées, quoique absurdes ; mais ma femme ne dépendait de personne lorsqu’elle m’a choisi. Est-il vrai ?

— Je l’avoue.

— Vous êtes venu me raconter qu’elle avait peur du journalisme, et moi qui tombais de fatigue pour avoir trop écrit, je vous ai répondu que j’avais de la littérature par-dessus les oreilles. Est-ce un serment, cela ?

— Si vous êtes bien sur de n’avoir rien juré, cher monsieur, vous devez être parfaitement à l’aise.