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Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 77.djvu/596

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plaines de l’Assyrie; nos historiographes persistent à y trouver la trace de leurs collèges secrets. Les arcanes du métier sont ainsi transmis aux charpentiers de la Grèce, d’où ils passent à Rome. Quand les Romains font la conquête des Gaules, ils y introduisent de véritables corporations de charpentiers. Ce sont ces corporations qui, modifiant leurs procédés traditionnels suivant les besoins des temps, édifient les premières églises gothiques. Cette relation directe entre les constructeurs de l’ancienne Rome et nos charpentiers du moyen âge est un fait que les délégués regardent comme suffisamment prouvé, et qui leur tient à cœur. Récemment encore, disent-ils, dans les travaux de réparation de l’église Notre-Dame de Paris, on a détruit des emblèmes professionnels exactement semblables à ceux que présente le Panthéon de Rome, bâti sous le règne d’Auguste par Agrippa. Il entre sans doute une grande part de fantaisie dans ce récit, et il y a beaucoup de détails à en rabattre; mais le trait principal est évidemment vrai : les procédés de la charpente constituent un art mystérieux que les ouvriers se transmettent de génération en génération comme un dépôt sacré et qu’ils s’efforcent de rendre aussi secret que possible. Il y a d’ailleurs parmi eux plusieurs écoles ; il y a des procédés divers pour tracer les épures et marquer le trait, et il arrive que des individus appartenant à des sociétés différentes ne peuvent coordonner leurs travaux; il se produit entre eux une confusion des langues analogue à celle dont fut témoin le fameux plateau de Sennaar. Le roi saint Louis, peut-être pour remédier à cet inconvénient, nomma par un édit de 1268 un maître-général de la charpenterie qui eut pour mission de veiller à la bonne exécution des œuvres du métier. On donnait alors le nom de charpentier à tous ceux qui travaillaient le bois; mais on les distinguait en ouvriers de grande et de petite cognée. Les premiers seuls ont continué à s’appeler charpentiers; les seconds ont été depuis nommés menuisiers, parce qu’ils ne travaillent que le bois menu. Le maître-général de la charpenterie avait d’ailleurs sous sa juridiction les huchiers, huissiers, tonneliers et charrons. Nous ne suivrons pas la charpenterie à travers les changemens qu’amenèrent peu à peu dans ses procédés les progrès de l’architecture et le développement des travaux de toute sorte. Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, un architecte ou entrepreneur, Fourneau, publia pour la première fois un ouvrage d’ensemble, l’Art du charpentier, où étaient développés dans leurs parties principales les procédés tenus jusque-là secrets, et que les pères transmettaient à leurs fils comme un héritage précieux. Ce livre, vu de mauvais œil par les maîtres charpentiers, procura à l’auteur des honneurs et des titres ; il fut nommé charpentier du roi, membre de l’Académie