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des délégués. L’obligation d’avoir un livret et de le faire viser par l’autorité administrative à chaque changement d’atelier pèse beaucoup aux ouvriers. C’est une perte de temps pour eux, et ils y voient un procédé de surveillance qui les blesse. « Du moment, dit un des délégués, que l’on nous reconnaît comme citoyens et électeurs, nous ne devons pas être sans cesse sous la surveillance de la police. » Où s’arrête d’ailleurs l’obligation du livret? Faut-il y astreindre l’ouvrier qui, tout en recevant un salaire, est intéressé dans une exploitation? Faut-il y astreindre la femme qui travaille pour augmenter les ressources de son ménage, la fille qui demeure chez ses parens? En fait, les prescriptions de la loi du 26 juin 1854 sont fort négligées. Quelques patrons exigent le livret; la plupart s’en passent parfaitement. On objecte que les bons sujets ont intérêt à établir leurs antécédens au moyen d’un carnet authentique, qu’il est nécessaire dans beaucoup de cas que les conditions du contrat de louage soient inscrites sur une pièce qui reste entre les mains de l’ouvrier, que cela est notamment utile à l’égard des contrats d’apprentissage. Ces considérations peuvent conduire à laisser subsister le livret à titre facultatif et non obligatoire. C’est en ce sens que paraît devoir être réformée prochainement la loi de 1854. On peut prévoir facilement d’ailleurs que le livret, devenu facultatif, tombera complètement en désuétude.

Un autre vœu exprimé par les délégués a déjà reçu satisfaction par la loi du 8 juin 1868 : c’est celui qui est relatif au droit de réunion. Le droit de réunion était en effet indispensable à l’exercice du droit de coalition récemment obtenu par les ouvriers. Comment se concerter sans se réunir? On se rappelle les conditions dans lesquelles le droit de coalition fut conquis par les populations ouvrières. Dans le courant de l’année 1863, quelques ouvriers typographes organisèrent une coalition en vue d’obtenir une augmentation de salaire; ils le firent avec tant de modération et de convenance, ils prirent tant de soin de mettre tous les avantages de leur côté, que non-seulement ils obtinrent ce qu’ils demandaient, mais qu’ils eurent pour eux l’assentiment de tout le public. Cependant ils avaient violé la loi, la coalition était un délit, il fallut les poursuivre et les condamner. Leur condamnation émut l’opinion. C’était bien ce qu’avaient voulu les typographes. Ils étaient ainsi arrivés à leur fin, qui était de montrer par un exemple éclatant la nécessité de réformer une législation vieillie. Les condamnés furent graciés par une décision impériale, et dès le commencement de la session législative de 1864 une loi était proposée pour la réforme des articles 414, 415 et 416 du code pénal. Ces articles punissaient d’un emprisonnement de six jours à un mois toute coalition entre les pa-