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on perce une carte à jouer avec une aiguille et qu’on regarde le ciel par cette mince ouverture en remuant légèrement la carte en sens divers. On les aperçoit très bien quand on éclaire latéralement la rétine avec la lumière concentrée d’une lentille. L’expérience peut même se faire avec une bougie ordinaire : entrez dans une chambre très noire, tournez-vous vers une muraille foncée, et promenez la bougie de haut en bas en la tenant tout près du côté externe de l’un des yeux, de façon que la lumière y pénètre très obliquement. Vous verrez alors ce qu’on nomme les figures de Purkinje : sur le fond noir se détacheront de vagues lignes rougeâtres, divergentes et pareilles à des branches; quand la lumière monte ou descend, on les voit se remuer comme des ombres. Ces lignes proviennent de l’interposition des vaisseaux sanguins de la surface rétinienne sur le trajet de la lumière. La surface sensible de la rétine est, nous l’avons vu, placée derrière cette première couche tapissée de vaisseaux, et par conséquent ces derniers sont autant de petits écrans disséminés au fond de l’œil.

Il faut encore parler d’une propriété fort bizarre du point jaune. Il n’est personne qui n’ait remarqué que, lorsqu’on regarde une étoile fixement, elle pâlit, s’efface et recule pour ainsi dire sous le regard. Les étoiles voisines semblent au contraire l’attirer ; elles scintillent fortement jusqu’au moment où l’on fixe les yeux sur elles, et où à leur tour elles perdent leur éclat. Cette mystérieuse apparence a trouvé son explication : le point jaune, où s’opère la vision directe, est moins sensible à une très faible lumière que les parties voisines de la rétine, propriété singulière dont on n’aperçoit ni la cause ni l’utilité.

La plupart des anomalies de l’œil tirent une explication des phénomènes qui se produisent dans la période embryogénique : ce ne sont point des défauts irrationnels, mais ce ne sont pas moins des défauts, et l’on pourrait aisément imaginer un appareil visuel qui en fut partiellement exempt. Les partisans des causes finales qui s’extasient sur l’adaptation des organes aux fonctions auront peut-être quelque difficulté à concilier leurs vues théoriques avec les faits qui viennent d’être exposés. Il n’y a pas un constructeur d’instrumens d’optique qui ne réussisse à rendre ses appareils en beaucoup de points plus parfaits que cet œil, dont nous sommes si fiers, et que nous sommes naturellement portés à regarder, à cause des grands et perpétuels services que nous en tirons, comme le chef-d’œuvre de l’architecture organique et vitale. Envisagé comme instrument d’optique, l’œil a au contraire ce caractère remarquable qu’il réunit tous les défauts connus de ces instrumens, que certains de ces défauts s’y exagèrent de la manière la plus fâcheuse,