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Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 77.djvu/754

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déjà fort compromise, il ne faisait que légitimer et encourager la révolution en lui donnant des armes et des griefs, de même qu’il lui donnait des chefs, il y a trois mois, en déportant aux Canaries et en internant quelques-uns des généraux les plus connus de l’armée, Serrano, Dulce, Echague, Caballero de Rodas. Il allait avec autant d’étourderie que de suffisance au-devant d’une explosion inévitable dont il s’appliquait lui-même d’avance à aggraver le caractère. C’est ce qui est arrivé en effet.

Qu’il y ait eu pendant tout l’été une conspiration suivie en Espagne et hors de l’Espagne, c’est bien certain ; en réalité cependant, cette conspiration ne s’est nouée fortement et n’est devenue sérieuse qu’il y a peu de temps. Jusque-là tout s’était passé en négociations qui ne conduisaient à rien. Les progressistes et les généraux de l’union libérale ne pouvaient arriver à s’entendre. Il y avait d’abord entre eux le souvenir de bien des luttes sanglantes depuis le 14 juillet 1856 jusqu’au 22 juin 1866, et de plus il restait une question bien autrement grave, bien autrement délicate, celle de savoir ce qu’on ferait le jour où on lèverait définitivement le drapeau de l’insurrection. Avant de prendre un parti extrême, les généraux de l’union libérale hésitaient : ils trouvaient, comme les progressistes, la situation de l’Espagne intolérable, et au fond, comme bien d’autres, ils voyaient la dynastie perdue ; mais ils se refusaient à prendre la responsabilité d’un mouvement et à jeter le pays dans une si périlleuse aventure sans savoir comment on remplacerait le gouvernement qu’on allait renverser. Bref, ils ne voulaient pas se lancer en aveugles et en étourdis dans une révolution sans idée arrêtée et sans programme. Par le fait, c’était encore une garantie pour la reine, car les progressistes, seuls, ne pouvaient rien, et ils sentaient eux-mêmes qu’ils en seraient encore pour quelque tentative nouvelle infailliblement réprimée. Chose curieuse, c’est justement à cet instant où les généraux refusaient de se lier à la révolution et où ils contenaient le danger par une modération relative, c’est à cet instant que le ministère les frappait subitement et les exilait ou les internait aux Canaries. M. Gonzalez Bravo était si habile qu’il faisait les affaires des progressistes, qu’il achevait d’un coup la réconciliation de ses adversaires en mêlant à tout cela le nom du duc et de la duchesse de Montpensier, enveloppés dans la proscription des généraux. Ce triste pouvoir trouvait sans doute qu’il n’avait pas assez d’ennemis, que la révolution ne marchait pas assez vite, et que la question dynastique n’était pas assez nettement posée.

Il y eut pourtant un moment où M. Gonzalez Bravo, malgré son assurance, ne laissait pas de s’effrayer d’une situation si violente. Il comprenait le danger, il sentait le sol se dérober sous ses pieds, et il était le premier à parler à la reine d’un changement nécessaire ; il demandait à se retirer du pouvoir pour laisser la place libre à quelque combinaison de conciliation. La reine elle-même, sans comprendre tout le danger,