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commençait à se préoccuper de la situation qui lui était faite ; elle ne savait plus trop où elle en était, et elle était d’autant plus troublée qu’en ce moment même elle voyait la division se mettre dans son propre camp. Pavia et Pezuela venaient de quitter leurs postes de Barcelone et de Madrid. Les tiraillemens se multipliaient à la cour. Au fond de tout, la reine voyait le duc et la duchesse de Montpensier, qui ne conspiraient nullement, — mais dont elle connaissait la pensée sur la politique qu’on suivait, et qui protestaient contre l’ordre d’exil dont ils avaient été frappés. La reine en était là lorsqu’elle partit pour Saint-Sébastien au commencement du mois d’août, et c’est alors, dans un moment d’inquiétude, qu’elle s’adressait pour la première fois au général José de la Concha en l’engageant à se tenir prêt à former un ministère.

C’était peut-être, pour l’instant, ce qu’il y avait de mieux. Les deux Concha représentaient une certaine idée modératrice ; ils étaient très conservateurs, et ils étaient en même temps liés avec l’union libérale, avec les généraux exilés. Si cette idée eût été suivie, peut-être le péril eût-il été écarté pour quelque temps. Malheureusement ce n’est pas à la cour d’Espagne qu’il y a des idées suivies. La reine Isabelle ne manque pas d’une certaine finesse ; mais elle a les impressions mobiles. Après s’être effrayée pendant quelques jours, elle se rassurait bientôt. Une insurrection avait été annoncée pour le 15 août, cette insurrection n’éclatait pas ; les négociations renouées dès ce moment entre les progressistes et les généraux déportés aux Canaries n’étaient pas encore arrivées à leur terme. On se crut sauvé à Saint-Sébastien. M. Gonzalez Bravo ne parlait plus de quitter le pouvoir, la reine ne parlait plus de rien au général José de la Concha. On fermait les yeux sur le danger, on laissait s’aggraver à vue d’œil une situation déjà si tendue. Et puis la reine était tout entière à une pensée, elle était possédée du désir d’avoir une entrevue avec l’empereur des Français. On a fait depuis deux mois d’étranges commentaires sur cette entrevue possible et toujours fuyante. Il est douteux qu’elle ait jamais été beaucoup souhaitée en France ; ce qui est certain, c’est qu’elle était devenue dans ces derniers temps la passion de la reine Isabelle. Il semblait que l’empereur n’arriverait jamais à Biarritz. À ses yeux, c’était le grand remède à sa situation. Cette infortunée souveraine se faisait cette équivoque illusion qu’en laissant entrevoir la possibilité d’une révolution qui adopterait la royauté du duc et de la duchesse de Montpensier, elle obtiendrait tout, — qui sait ? peut-être même des secours armés et de l’argent. Elle oubliait que c’était une médiocre tentation à offrir à l’héritier de celui qui a fait la guerre de 1808. La reine Isabelle ne vivait pas moins sous cette trompeuse obsession, attendant toujours l’empereur, qui ne se hâtait pas, dont elle ne connaissait pas d’ailleurs les intentions, et c’est au moment où elle croyait toucher à son but que cette malheureuse entrevue s’évanouissait comme un mi-