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nombre total des sectateurs des autres religions, le laisse en faible minorité. Aucun des anciens cultes n’a disparu de la scène historique, ni le magisme des Chaldéens et des Perses, ni le brahmanisme des Hindous, ni le chamanisme des peuples du nord de l’Asie, ni le pur fétichisme des peuplades de l’Afrique primitive. Aujourd’hui encore les plus vieilles superstitions résistent presque sur toute la surface du globe aux lumières de la civilisation moderne. Les peuplades isolées du centre de l’Afrique, certaines tribus de l’Arabie, nombre de tribus encore sauvages des deux Amériques et de l’Océanie, adorent toujours leurs grisgris, leurs burkhaus, leurs manitous, leurs ockis, idoles puériles, grotesques ou horribles, auxquelles leurs prêtres, sous les noms de griots, de jongleurs, de chamanes, continuent à immoler des victimes humaines. Le brahmanisme n’a perdu aucune de ses incarnations étranges, aucune de ses pratiques bizarres, aucune de ses institutions cruelles ou dégradantes chez les races indiennes, sur lesquelles il règne encore. Supérieur au brahmanisme en ce qu’il affranchit l’homme et le délivre de ses interminables métamorphoses, le bouddhisme n’en maintient pas moins le principe de ces innombrables incarnations de la Divinité qui ne permettent pas de distinguer de la nature l’homme et Dieu. Les religions plus sévères sur ce point, plus simples surtout, sinon tout à fait rationnelles, comme le judaïsme et le mahométisme, qui rejettent toute espèce d’incarnation, n’en reconnaissent pas moins le surnaturel, le miracle à tout propos, c’est-à-dire ce qu’il y a de plus contraire à la science moderne. Le christianisme, malgré l’ardeur de ses missionnaires et l’activité de sa propagande, ne fait pas sur ce monde religieux de ces conquêtes qui puissent laisser espérer que son empire sera universel dans un temps plus ou moins éloigné. Il n’a sérieusement entamé aucun de ces grands cultes de l’Orient qui comptent leurs adhérens par centaines de millions. Et ce ne sont pas seulement les races nègre, jaune, mongole ou sémitique qui résistent à l’action d’une religion fille de la plus grande race de l’humanité, c’est une branche considérable de cette même famille aryenne, la race hindoue, qui reste obstinément attachée à la tradition brahmanique. Si donc c’était une loi nécessaire du développement de l’humanité que le christianisme absorbât toutes les religions inférieures qui ont paru avant lui ou à côté de lui pour conduire au règne de la raison pure tout le genre humain réuni sous son autorité, ainsi que le pensait Jouffroy, il faudrait que la philosophie et la science se résignassent indéfiniment à attendre leur tour, car ce mouvement d’absorption, loin d’être avancé, est à peine sensible.