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Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 77.djvu/881

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tuyaux, leurs souliers à larges rosettes constellées de pierreries, leur physionomie grave, leur regard d’une assurance calme, leur pose un peu raide, mais solide, se représenteront facilement cette espèce d’aristocratie qui put longtemps se croire perpétuelle.

A côté d’une étroitesse inévitable et d’un certain pédantisme, il y avait beaucoup de dignité dans ces vieilles familles bourgeoises qui présentent assez d’analogie avec nos familles parlementaires d’autrefois. Les femmes étaient ou puritaines ou bonnes commères réjouies, mais toujours épouses fidèles, mères excellentes, et, toutes fières qu’elles fussent de leur rang social, elles ne craignaient pas de mettre elles-mêmes la main à la bonne direction de l’office, du fruitier, de l’armoire aux conserves et surtout de l’armoire au linge. Ce monde bourgeois était lettré. Les fils recevaient ordinairement l’éducation universitaire et se mariaient jeunes. Les mariages d’inclination étaient la règle; les filles, comme encore aujourd’hui en Hollande, étaient peu ou point dotées. Une belle bibliothèque faisait partie indispensable de l’ameublement d’une maison comme il faut. Ce n’est pas seulement parce que la presse y était plus libre qu’ailleurs que nos écrivains du dernier siècle se faisaient si souvent imprimer en Hollande : la moitié des éditions se plaçait souvent dans la seule ville d’Amsterdam. En fait de tableaux, ou bien on avait dans ses salons des œuvres de maîtres, ou bien on s’en passait. Du reste une grande simplicité régnait dans les ameublemens, la nourriture et les plaisirs : de bons forts meubles de chêne ou d’acajou, des fauteuils droits en velours d’Utrecht, des armoires pleines de superbe linge, les énormes rôtis et les gros légumes du pays, le poisson abondant, mais peu varié, des rivières et des côtes, le feu bleuâtre des excellentes tourbes de l’Over-Yssel échafaudées symétriquement dans les grandes cheminées, mais pas de feu dans les chambres à coucher ni au bureau du père, sauf en cas de maladie, la partie d’hombre le soir avec la longue pipe blanche où brûle un tabac superfin, et le flacon de vin de France ou de vin du Rhin, en été un séjour à la campagne dans les environs de Harlem ou de La Haye, rarement le spectacle ou la danse, mais de très fréquentes réunions autour de la table à thé, et des soupers copieusement arrosés, — voilà, rapidement esquissée, la vie matérielle de cette société particulière. Notre goût français eût trouvé ce genre de vie aisé, très comfortable même pour le temps, mais un peu lourd, trop uniforme. Ce n’en était pas moins un monde remarquable, digne d’être connu et profondément estimable.

C’est de ce monde à part que Jacob van Lennep a recueilli de première main les souvenirs, et, sans se laisser aveugler par l’esprit de caste, tout en reconnaissant les défauts inhérens au système dont ce patriciat bourgeois était sorti, il l’a décrit avec un respect