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prit à ses dépens. Il y eut entre autres une catégorie de personnes qui ne lui pardonnèrent pas plus son Bleek, le négociant méthodiste et voleur, que les bigots du temps de Louis XIV ne pardonnèrent son Tartufe à Molière.

D’autres encore crièrent à l’invraisemblance, ne voulant pas admettre qu’avec les règlemens de police en vigueur, sous l’égide d’une administration toujours vigilante et paternelle, une infortune comme celle de Nicolette fût possible. L’auteur n’avait qu’à répondre que, là où la police n’est pas contrôlée, les abus sont toujours possibles. Du reste, un scandaleux procès qui s’ouvrit à Bruxelles peu de temps après la publication de son roman vint forcer ce genre de critiques à se taire. Ajoutons que dès le principe l’auteur trouva aussi des défenseurs chez les esprits impartiaux qui pensent que cette espèce de cant qui défend de parler dans un roman de choses que nul n’ignore est tout le contraire d’une garantie de moralité. Il se fit même en plusieurs localités une révision des règlemens de police destinée à prévenir tout abus du genre de celui dont Nicolette avait été la victime. Ce roman est éminemment utile aux jeunes filles des classes laborieuses, trop souvent entraînées vers un gouffre dont elles ne voient que les bords, et je sais des pasteurs qui se sont servis avec succès des Aventures de Nicolette pour éclairer à temps des infortunées qui allaient s’y précipiter.

Il y eut des critiques d’un autre genre, quelques-unes même fort acerbes. On reprochait à l’auteur d’avoir fait de Nicolette une sainte immaculée, sans faiblesse, sans défaut, comme il n’y en a pas sur la terre. Tout romancier est amoureux de son héroïne, et un amoureux ignore les défauts de celle qu’il aime. Ailleurs on releva malicieusement que Nicolette n’eût pas été aussi parfaite, s’il ne s’était pas trouvé qu’elle se rattachait par sa naissance aux familles patriciennes d’Amsterdam, et que tout l’ouvrage tendait à la glorification de l’aristocratie déchue : reproche des plus injustes, car l’écrivain, malgré ses prédilections connues, ne cache aucune des faiblesses, aucun des torts de la douairière de Dourtoghe, torts et faiblesses qui tiennent à sa caste, et nous offre, dans son frère, l’oncle van Bassem, un type fort amusant du patriciat dégénéré, n’ayant conservé que ses préjugés et son orgueil de race. On prétendait aussi que les caractères ne restaient pas toujours fidèles à eux-mêmes, et cela n’est pas exact, excepté pourtant — et l’auteur l’a reconnu lui-même, — pour le pasteur Bol, qui est trop judicieux, trop bon, trop actif dans les deux premiers tiers de l’ouvrage pour être si effacé dans le dernier.

Le nombre et la vivacité de ces critiques prouvaient combien