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voilà la terreur qui commence dans les campagnes ; tout fuit devant eux, les gémissemens des femmes outragées s’élèvent jusqu’au ciel et demandent vengeance.


« Ah ! beaux seigneurs du bas pays, vous voulez venir dans notre Oberland, et vous ne savez pas seulement si vous y saurez trouver votre nourriture ! Çà ! songez d’abord à y faire votre confession, car il pourrait bien vous arriver malheur dans cet Oberland ! « Où est le curé qui confesse en ce pays ? Il demeure à Schwyz, et il vous réserve une rude pénitence. Ça ! il vient à votre rencontre, il a des hallebardes pointues pour vous donner la bénédiction !

« — Si notre pénitence doit être si dure, ô révérend père, vénérable Domine, s’il faut que nous en passions par votre volonté, malheur à nous ! Ça ! quel sera notre refuge, si nous devons être ainsi traités par les Suisses ? »


On est en juillet, et le duc, qui se regarde comme chez lui et ne veut pas perdre une moisson mûre et bien en point, s’est fait précéder par quelques centaines de moissonneurs ; il leur ordonne de faucher le blé autour de Sempach. Ainsi la récolte sera ramassée, et l’on se battra plus à l’aise. Là-dessus un chevalier d’humeur plaisante crie aux bourgeois de Sempach qu’il est temps de donner le déjeuner aux moissonneurs. « Nobles chevaliers, voici venir le déjeuner qu’on vous prépare ! A vous de vous bien tenir, et prenez garde que la cuiller ne tombe des mains à plus d’un d’entre vous ! »

Au début de la seconde romance, le poète oppose les deux camps l’un à l’autre. D’un côté règne la témérité, la forfanterie du discours : un chevalier qui parle de précautions est traité de cœur de lièvre. On met pied à terre, mais on laisse par derrière valets et fantassins pour garder les chevaux et le bagage. Ne convient-il pas que les maîtres se réservent le plaisir de battre les manans ? Ils lient gaîment leurs casques et ôtent de leurs chaussures les pointes à la poulaine dont on eût rempli, dit la chanson, toute une charrette. De l’autre côté, les Suisses sont résolus comme des héros et humbles comme des pénitens. Ils poussent vers le ciel un cri que la ballade a répété et qui a retenti à travers l’histoire. Le combat est raconté comme un duel entre le lion d’Autriche et le taureau des cantons : c’est le duel de la chevalerie féodale et des paysans confédérés. Ce taureau, emblème de la nation naissante, est celui qui laboure la terre des hommes de Schwyz, nation d’agriculteurs, qui mugit au milieu des batailles par la corne d’Uri ; la vache d’Unterwalden, qui nourrit de son lait les enfans de ses deux vallées, est sa sœur. Quand au lion autrichien, il désigne un ordre de chevalerie