Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 77.djvu/901

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

penser. Nous ne serons donc pas de ceux qui reprochent à M. de Quatrefages d’avoir, soit dans ses propres traités, soit dans ses cours, soit dans son rapport, insisté sur les caractères moraux des races et des peuples, dont il cherche à établir la commune origine ; nous lui reprocherions plutôt d’être encore trop superficiel sur cette question. Lorsque l’on fait de la moralité et de la religion les signes caractéristiques de l’espèce humaine, on ne saurait trop démontrer la réalité de ces caractères. Or il me semble que M. de Quatrefages passe en général un peu trop vite sur l’objection sceptique en matière de mœurs et de moralité. Lui-même, dans sa démonstration de l’unité de l’espèce humaine[1], sacrifie encore trop le point de vue moral au point de vue physique. Néanmoins nous trouverons dans les écrits du savant auteur de précieuses indications pour le sujet qui nous intéresse.

L’anthropologie d’ailleurs n’est pas la seule science que nous ayons à notre disposition pour résoudre le problème moral que nous avons posé. L’histoire, surtout l’histoire des institutions, des religions, des philosophies, est une source chaque jour plus riche de renseignemens inconnus autrefois. Les progrès de la philologie ont mis à notre portée les grands monumens sacrés, législatifs, moraux de l’Orient, et une vaste partie de l’espèce humaine, naguère encore enveloppée de nuages, commence à nous être connue dans les plus belles de ses œuvres. Là aussi, notre question ne peut manquer de trouver d’importantes lumières. C’est en consultant les diverses sources que nous venons d’indiquer, sans oublier les philosophes, que nous essaierons de donner la solution de ce problème moral que l’on peut appeler le problème de Pascal, car personne ne l’a formulé en termes plus saisissans. Nous voudrions « défendre la cause de l’humanité contre ce misanthrope sublime, » selon l’expression de Voltaire.


I.

L’objection sceptique contre l’unité morale du genre humain peut se résumer en ces deux propositions : chez les peuples sauvages, point de moralité; chez les peuples civilisés, moralité contradictoire. Nous examinerons successivement ces deux points. Lorsqu’il s’agit des mœurs des populations sauvages, qui n’ont point d’histoire, qui n’ont pas de monumens écrits, la seule autorité que l’on ait à sa disposition est le témoignage des voyageurs; or, sans vouloir déprécier en aucune façon cette autorité, qui est

  1. Voyez le livre, si intéressant d’ailleurs, de l’Unité de l’espèce humaine, qui a paru d’abord dans la Revue.