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Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 77.djvu/913

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plus nobles sentimens, aux affections de famille, à l’amour conjugal, à la reconnaissance. Trompé par le blanc, il ne se fie plus à lui et use de représailles; mais Dawson affirme qu’il agit avec une entière bonne foi envers celui qui a mérité sa confiance. Cuningham a trouvé chez ces peuples le point d’honneur sanctionné par de véritables duels où tout se passe d’après des règles auxquelles on ne saurait se soustraire sans être déshonoré. Voici par exemple un fait curieux que sur l’autorité du capitaine Sturt cite M. de Quatrefages, et qui prouve l’esprit chevaleresque de ces sauvages. Deux évadés irlandais se prirent de querelle avec les indigènes au milieu desquels ils étaient réfugiés. Les Européens étaient sans armes; avant de les attaquer, les Australiens leur en fournirent pour qu’ils pussent se défendre, seulement alors ils les combattirent et les tuèrent. Comme ombre au tableau, il faut ajouter que les Irlandais furent mangés, ce qui n’est pas très chevaleresque; mais ce n’est là, nous dit M. de Quatrefages, qu’une exception, car il a été juridiquement constaté par une enquête que le cannibalisme n’existe que sur quelques points du continent australien, et qu’il n’y en a pas trace sur une étendue considérable et parmi de nombreuses tribus.

Les Indiens du nouveau continent n’ont jamais été placés si bas dans l’opinion que l’ont été les nègres et les Australiens. On leur a généralement reconnu, quoique mêlées de férocité et de perfidie, des qualités plus nobles et plus viriles qu’aux populations africaines. Une certaine fierté, même une certaine grandeur leur a été traditionnellement reconnue. Sans doute il ne faut point juger les peaux-rouges d’après les romans de Cooper; mais après tout il ne les a pas plus poétisés que Corneille les Romains. Je trouve dans les Mémoires de Malouet[1] une description très intéressante, faite avec une grande perspicacité, des mœurs des Indiens de la Guyane. Ce ne sont pas à la vérité les belliqueux Apaches, les fiers Mohicans, les Hurons, les Iroquois, ces populations énergiques et héroïques réduites peu à peu par la nécessité et par les progrès constans des Européens à l’état de populations pillardes, ne vivant plus que de brigandages; ce sont des races paisibles et douces, sédentaires, peut-être amollies, sinon conquises par la civilisation. Le tableau que nous a laissé Malouet de leur état de société, et qui paraît être d’une vérité parfaite, prouve qu’après tout ces peuples enfans n’ont pas choisi le plus mauvais lot parmi les biens dont l’homme peut jouir sur la terre. « Depuis la baie d’Hudson jusqu’au détroit de

  1. Ces curieux mémoires viennent d’être publiés avec un soin infini par le petit-fils de l’auteur, le baron Malouet. Le célèbre constituant avait été chargé d’une mission dans la Guyane française, et avait même eu des affaires à traiter avec les Indiens : il a donc pu les observer de très près.