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courbé pour appuyer sa tête, c’est un état qui a sa douceur. » — « Être riche et honoré par des moyens iniques est pour moi comme le nuage flottant qui passe. » — « Fuir le monde, n’être ni vu ni connu des hommes, et n’en éprouver aucune peine, tout cela n’est possible qu’au saint. » — « L’homme supérieur s’afflige de son impuissance et est méconnu des hommes. »

Le perfectionnement de soi-même n’est que la première partie de la morale, la seconde et la plus importante est le perfectionnement des autres. La principale vertu pour Confucius est la vertu de l’humanité : Fan-tchi demande ce que c’était que la vertu de l’humanité? Le philosophe dit : « Aimer les hommes. » — « Il doit aimer les hommes de toute la force et l’étendue de son affection. » — « L’homme supérieur est celui qui a une bienveillance égale pour tous. » Veut-on des paroles où non-seulement l’idée, mais le sentiment de la fraternité s’exprime en sentimens touchans et passionnés; le philosophe dit : « Je voudrais procurer aux vieillards un doux repos, aux amis conserver une fidélité constante, aux femmes et aux enfans donner des soins tout maternels! » Sse-ma-nieou, affecté de tristesse, dit : « Tous les hommes ont des frères, moi seul n’en ai point. » — « Que l’homme supérieur, répond le philosophe, regarde tous les hommes qui habitent dans l’intérieur des quatre mers comme ses frères. » Enfin on retrouve en propres termes dans Confucius les maximes célèbres de l’Évangile. — La doctrine de notre maître, dit Thseng-tseu, consiste uniquement à avoir la droiture du cœur et à aimer son prochain comme soi-même. » — « Agir envers les autres comme nous voudrions qu’ils agissent envers nous-mêmes, voilà la doctrine de l’humanité. »

Le sage Thseng-tseu (Mencius) ne fait en général que reproduire, souvent en termes heureux, mais sans y rien changer, la doctrine morale de Confucius[1]. Il est cependant un point très important où il se montre à nous avec une véritable originalité, où il nous révèle dans la morale de l’Orient un trait qui nous paraît généralement en être entièrement absent. Nous nous représentons toujours l’Orient, et en particulier la Chine, comme une contrée où le despotisme domine sans aucun contrôle, et qui est vouée à une servilité sans limite. C’est encore là une erreur. Qu’il en soit ainsi aujourd’hui, cela est possible, je n’en sais rien; mais il n’en a pas toujours été de même. Là aussi la nature humaine a su reconnaître et défendre sa dignité, là aussi le pouvoir a connu des censeurs, là aussi les mâles

  1. Remarquons ce passage ou Mencius exprime précisément la vérité que nous prétendons établir ici, à savoir l’unité morale de l’espèce humaine. « Tous les hommes, dit-il, ont le sentiment de la miséricorde et de la pitié; tous les hommes ont le sentiment de la honte et de la haine du vice; tous les hommes ont le sentiment de la déférence et du respect; tous les hommes ont le sentiment de l’approbation et du blâme. »