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Quant aux revenus fixes, qui sont après tout l’exception, ils subissent la loi de l’humanité, qui veut qu’il n’y ait rien d’immuable. Si ceux qui les possèdent ne les trouvent plus suffisans, ils n’ont qu’à demander au travail le supplément nécessaire.

Maintenant, de ce que les métaux précieux n’ont pas subi encore de dépréciation sérieuse qu’on puisse signaler avec certitude, s’ensuit-il qu’il en sera toujours de même dans l’avenir? Les gisemens aurifères sont loin d’être épuisés. En Californie, ils s’étendent, dit-on, sur une longueur de 1,250 kilomètres et sur une largeur de 115 le long de cette chaîne de montagnes qui borde le Pacifique. Dans l’Australie, qui est une contrée plus grande que l’Europe, il y en a presque partout. La Russie elle-même découvre à tout moment de nouveaux gisemens dans les montagnes qui la séparent de l’Asie, dans l’Oural, l’Altaï, et jusque sur les plateaux qu’habitent les Kirghiz. Quant aux mines d’argent, voici ce qu’en disait, il y a une quarantaine d’années, M. de Humboldt: « L’abondance de l’argent est telle dans la chaîne des Andes, qu’en réfléchissant au nombre de gîtes qui sont restés intacts ou qui n’ont été que superficiellement exploités, on serait tenté de croire que les Européens ont à peine commencé à jouir de cet inépuisable filon de richesse que possède le Nouveau-Monde. » Sans chercher à faire aucune évaluation, ce qui serait impossible, on peut dire sans crainte d’exagération qu’on n’a pas tiré des mines aujourd’hui connues, de celles récemment découvertes surtout, le dixième des richesses qu’elles renferment. Et maintenant que l’exploitation en est devenue plus régulière, qu’elle se fait avec des capitaux, des machines, et selon les procédés scientifiques, on peut s’attendre pendant longtemps à un rendement excessif; peut-être arriverons-nous à doubler le stock métallique actuel. L’effet sera-t-il toujours le même, pourrons-nous encore absorber le supplément de métaux précieux? C’est là une question qui appartient à l’avenir et que nous ne pouvons pas trancher. Ce qu’on peut dire seulement, c’est que cette augmentation prodigieuse, si elle a lieu, sera relativement assez lente; en supposant que les mines aujourd’hui en exploitation continuent à donner 1 milliard par an et que les 3/4 en reviennent au monde civilisé, déduction faite des pertes et des réexportations, — et ce sont là évidemment des suppositions très larges, — il faudra plus de soixante ans pour que le stock métallique actuel soit doublé, quatre-vingts ans pour qu’il arrive à 100 milliards. Au bout de ce temps, d’après ce qui a eu lieu à la suite de la découverte de l’Amérique, la dépréciation des métaux précieux pourrait être de 50 pour 100; mais d’ici là que d’élémens qui sont de nature à atténuer cet effet ! D’abord les progrès industriels se font aujourd’hui