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rencontre dans les faubourgs des villes hollandaises; mais au fond les Noces de Cana ne sont pas plus mal placées dans une taverne hollandaise que dans un palais vénitien, elles y sont même mieux placées, car il est plus probable qu’elles se passèrent dans un logis modeste que dans une habitation somptueuse. Les convives aussi ne durent pas beaucoup différer par la condition de ceux de Jean Steen, et il n’y a rien de choquant ni de contraire à l’orthodoxie à penser que le miracle de l’eau changée en vin fut accueilli par des hourras d’enthousiasme pareils à ceux que peuvent pousser et que poussent en effet tous les braves gens sans belles manières qui se bousculent autour de Jésus. Ce tableau est l’œuvre capitale de Steen en ce sens qu’il est l’effort le plus réellement sérieux qu’il ait tenté; mais nous sommes souvent trahis par nos bonnes intentions, et cette œuvre très louable, qui ne peut soutenir la comparaison avec les scènes analogues sorties du pinceau des maîtres illustres, a moins fait pour la gloire de Jean Steen que ses drôleries si souvent révoltantes.


III. — MUSÉE WIERTZ.

Tous ceux qui s’intéressent à l’art, et surtout aux questions qu’il soulève, devront bien se garder de quitter Bruxelles sans rendre une longue visite à l’atelier du peintre Antoine Wiertz, aujourd’hui transformé en musée. C’est un spectacle plein d’enseignemens, et qui rappellera aux artistes les prodigieux efforts qui leur sont commandés, en même temps que les obstacles contre lesquels ils viendront se heurter, s’ils se trompent sur la vraie mission de leur art, et s’ils ont le noble, mais imprudent entêtement d’être. plus fidèles à la voie qu’ils se sont tracée qu’aux conditions de la nature, royale personne qui ne tient compte de la puissance toute républicaine de la volonté humaine qu’autant que cette volonté est conforme à ses lois.

Nous n’avons pas à apprendre à nos lecteurs quels furent la vie courageuse et les efforts d’Antoine Wiertz. Un savant professeur de l’université de Liège dont l’œil est ouvert sur bien des choses, M. Emile de Laveleye, s’est ici même chargé de ce soin, et il l’a fait avec la compétence naturelle d’un compatriote de Rubens et d’un homme qui vit dans le voisinage de tant de belles œuvres[1]. Nous partageons toute son estime pour le caractère dont une telle vie fait preuve, pour cette volonté constante de maintenir l’art à une grande hauteur; mais nous lui demanderons la permission de laisser notre admiration un peu en-deçà de la sienne. Le musée Wiertz est bien curieux et bien instructif, mais il est curieux et in-

  1. Voyez la Revue du 15 décembre 1866.