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structif surtout en ce qu’il enseigne ce qu’il faut éviter plutôt que ce qu’il faut imiter. Antoine Wiertz avait engagé un combat dans lequel il ne devait pas, il ne pouvait pas triompher. Grandes furent ses erreurs; heureusement pour sa mémoire, l’histoire des hérésies célèbres fait partie de l’histoire de la vérité, et pour cette raison Wiertz est certain d’occuper une place considérable dans l’art de son temps. Wiertz professait sur la nature et le but de l’art une opinion que nous avons vue trop souvent adoptée dans notre siècle, et qui a dévoyé plus ou moins bien des artistes éminens, mais jamais au point où elle l’a égaré. Cette opinion, très logique en apparence, très erronée en réalité, c’est que l’art est capable de servir de véhicule aux idées abstraites, et qu’il peut jouer le rôle d’initiateur philosophique. A première réflexion, rien de plus raisonnable que cette opinion; mais, dès qu’on insiste et qu’on la creuse, l’illusion se dissipe, et l’on découvre qu’elle est juste à l’opposé de la réalité. Cette opinion est cependant très difficile à détruire, car elle repose sur un sophisme involontaire engendré par la confusion presque inévitable que l’esprit de presque tous les hommes établit entre la vérité abstraite et la vérité réalisée, entre les idées qui sont encore à l’état métaphysique et les idées qui ont pris corps,

La plupart de ceux qui se sont aperçus des résultats désastreux pour l’artiste qu’engendrait cette opinion se sont placés à l’extrême opposé, et ont alors assigné pour but à l’art la seule beauté. Ils ont prêché à l’artiste l’évangile de l’indifférence morale; l’erreur est moindre, cependant c’est encore une erreur. Dans les conditions que la nature a faites aux arts plastiques, la vérité et la beauté se confondent nécessairement, parce que, si l’artiste obéit docilement à ces conditions, la vérité ne viendra le trouver que lorsqu’elle sera revêtue de beauté. Dire que la vérité n’est pas le but de l’art serait donc faux; mais quelle est cette vérité, et surtout a quel état la prenez-vous? Avez-vous compté tous les états que traversent les idées avant de devenir sensibles et de régir nos destinées? D’abord à l’état métaphysique pur, leur première incarnation est le verbe, la parole. Tant qu’elles sont dans cet état, elles n’ont point de corps saisissable, et, filles directes de la pensée, elles ne s’adressent qu’à la pensée. Un nouvel effort se produit, et les idées, s’imposant à ceux qui les ont conçues et acceptées deviennent la règle de conduite de leurs actions. Elles ne sont pas encore sensibles, mais elles sont déjà visibles aux yeux humains par leurs effets. Peu à peu par la contagion de l’exemple elles se propagent, et en se propageant elles acquièrent une puissance de durée qui leur permet de revêtir un nouveau corps, l’habitude, d’où naissent les mœurs. Lorsqu’une fois elles ont passé dans les mœurs, tout caractère abstrait a disparu d’elles, elles font partie