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des « jardins d’enfans, » et où la vue des objets naturels, des dessins, des couleurs, plus particulièrement des couleurs joyeuses, concourt à leur instruction et à leur amusement. Dans les conférences d’instituteurs qui furent faites à la Sorbonne en 1867, un maître suisse proposait, en un langage ferme, simple et sobre qui a été fort goûté, d’associer les premiers élémens du dessin aux premiers tracés des lettres de l’alphabet. Il étudiait à son point de vue d’une manière ingénieuse, trop ingénieuse peut-être, une des faces de la question dont nous avons déjà parlé et qui n’est point encore résolue.

Le même problème est soulevé en Belgique. On demande que l’enseignement du dessin accompagne celui de l’écriture. On sait que la Belgique dépense proportionnellement plus d’argent qu’aucun peuple de l’Europe pour l’instruction primaire. Cette sollicitude envers l’enseignement, jointe aux développemens de son industrie, explique pourquoi le dessin y est si bien en honneur, et pourquoi les écoles communales et les écoles libres s’en préoccupent à l’envi. Les écoles normales de femmes, une institution qui nous manque encore, ont des cours de dessin d’une grande utilité pratique : il s’agit de l’application du dessin à la coupe des vêtemens. De tous côtés s’ouvrent des écoles d’art formées par des associations et surveillées par des inspecteurs dont les fonctions ne sont pas rétribuées.

La commune de Molenbeek-Saint-Jean possède une de ces écoles, qu’elle a organisée il y a quelques années, et dont elle a confié la direction à l’un de ses peintres distingués. Cette école, voisine de celles de la capitale belge, puisque Molenbeek-Saint-Jean n’est guère qu’un faubourg industriel de Bruxelles, a réussi rapidement au-delà de toute espérance. Les élèves, tous artisans, sont au nombre de plus de trois cents. Des hommes qui n’avaient jamais manié un crayon ont pris goût à l’étude du dessin, et ont amené successivement avec eux plusieurs de leurs compagnons. Ils n’ont pas tardé à voir le prix de leur salaire journalier doubler en même temps qu’ils devenaient propres à rendre plus de services ; ils appartenaient désormais à cette catégorie d’ouvriers qui ne connaissent plus les mauvaises heures du chômage, parce que les chefs d’établissemens ont tout intérêt à ne pas les laisser partir et prêter leurs concours à d’autres manufactures. Peu à peu les pères ont compris qu’ils pouvaient sans honte s’asseoir sur les mêmes bancs que leurs fils, et lutter d’émulation pour obtenir des couronnes qui le plus souvent sont emportées par les plus jeunes d’années, plus anciens déjà dans l’étude et la pratique de leur art. Ces résultats ne découragent personne. On sait que le temps est un élé-