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Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 78.djvu/1015

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semblait livrer une proie, il s’est créé une faiblesse qu’on a fort exploitée contre lui ; il s’est attiré des remontrances européennes devant lesquelles il n’a pas vraiment joué un beau rôle. Dans la direction des affaires extérieures des principautés, on ne pouvait certes lui faire un crime d’avoir de l’ambition pour son pays, de rêver une indépendance plus complète vis-à-vis de la Porte, de tenir compte aussi des troubles de l’Europe et des occasions qui pouvaient en sortir. Quelles étaient d’ailleurs ses idées et ses vues ? On ne le sait au juste. Ce qui est certain, c’est qu’il s’est engagé avec peu de prudence dans une voie fort dangereuse en faisant de la Roumanie un foyer d’agitation contre la Turquie, un arsenal, selon le mot de M. de Beust, en multipliant des arméniens hors de toute proportion, et en laissant s’organiser sur le territoire moldo-valaque des bandes toujours prêtes à faire irruption en Bulgarie. Par là il ne se plaçait pas seulement dans la condition la plus irrégulière vis-à-vis de la Turquie, il ajoutait aux embarras des gouvernemens européens auxquels les traités ont réservé un certain droit de tutelle sur les principautés.

M. Bratiano pouvait, il est vrai, avoir des raisons de croire qu’il ne resterait pas sans appui. On ne peut guère douter de ses alliances secrètes avec la Russie et avec la Prusse. Ce n’était pas moins une situation incessamment tendue dont on pouvait tout au plus esquiver les périls tant que l’Europe semblait toujours près de glisser dans la guerre. Le jour où des influences plus pacifiques ont prévalu, le cabinet de Bucharest s’est trouvé à demi abandonné par les uns, plus étroitement surveillé par les autres, notamment par l’Autriche, et réduit à nier ce qui était évident, à se sauver par des subterfuges le jour où il était pris en flagrant délit de transports d’armes clandestins. Le dernier acte qui l’a compromis, à ce qu’il semble, est un procédé assez léger vis-à-vis de la Turquie, une lettre irrégulièrement adressée par le ministre des affaires étrangères, M. Golesco, au grand-vizir. D’ans une autre circonstance, ce n’eût été rien peut-être ; en ce moment, c’était plus grave. L’Autriche serrait de près le cabinet roumain, la France le tenait en suspicion depuis longtemps ; à la dernière heure, la Prusse elle-même l’a abandonné, voulant sans doute donner ainsi un gage de ses intentions pacifiques, et M. Bratiano est tombé ; sa chute a coïncidé avec l’ouverture des chambres à Bucharest. M. Bratiano et ses collègues ont été remplacés par M. Démètre Ghika, M. Cogolnitchano et quelques autres. Le prince Charles a eu la prudence de s’arrêter sur une pente périlleuse en appelant au pouvoir un cabinet qui s’est donné pour mission de redresser la politique de la Roumanie en la ramenant à des conditions plus régulières ; mais voici où la question se complique. Ce ministre, tombé, M. Bratiano, la chambre des députés de Bucharest l’a élu aussitôt pour son président ; l’ancien ministre des affaires étrangères, M. Golesco, a été