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choisi comme président du sénat. Il en résulte entre le nouveau ministère et la représentation nationale un antagonisme qui peut assurément conduire à dès crises plus graves ; quelles que soient cependant les animosités des partis, il y a une situation plus forte qui s’impose aujourd’hui. L’essentiel pour la Roumanie était de sortir d’une voie sans issue.

Que ce dénoûment de la crise roumaine ait causé quelque satisfaction à Constantinople, cela n’est point douteux. La chute de M. Bratiano a été saluée par la Porte comme un succès, et c’est là peut-être malheureusement ce qui a donné de la confiance à la Turquie, ce qui l’a encouragée à soulever une autre question qui reste jusqu’ici infiniment plus grave, qui pourrait même à la rigueur nous ramener à des complications inattendues, si la volonté de l’Europe ne s’était mise entre des ennemis toujours prêts à en venir aux mains. La Grèce, nous en convenons, a donné bien des griefs à la Turquie. La Grèce plus encore que la Roumanie, on le sait bien, a ses ambitions, et, comme elle a été souvent l’enfant gâté de l’Europe, elle se jette volontiers à corps perdu dans toutes les agitations contre un empire qui à ses yeux a le tort suprême d’exister. Elle épie les occasions, qui ne manquent jamais en Orient, elle vient en aide à toutes les tentatives de soulèvement. Depuis deux ans surtout, elle fait ce qu’elle peut pour entretenir l’insurrection crétoise, et c’est encore cette malheureuse insurrection qui est le point de départ immédiat de l’incident actuel. On croyait cependant en avoir fini avec cette affaire de Candie, depuis longtemps abandonnée à elle-même : nullement ; elle vient de se réveiller en Grèce, où des milliers de Crétois se sont réfugiés, où l’on fait évidemment tout ce qu’on peut pour rallumer le combat, au risque de pousser la Turquie à bout par toute sorte d’actes d’hostilité qu’on ne dissimule même pas. Récemment encore un chef de bandes, Petropoulakis, enrôlait publiquement des volontaires à Athènes, à quelques pas de la légation ottomane, et on dit même que cette légation a été insultée. Entre la Grèce et la Crète, il y a un service presque régulier de navires transportant hommes et munitions. A la fin, la Turquie s’est lassée, et, une fois délivrée du souci de la Roumanie, elle s’est tournée vers la Grèce. Elle a paru d’abord décidée à recourir immédiatement aux mesures de coercition les plus sévères. Le gouvernement turc s’est ravisé cependant, sans doute sous l’influence des conseils européens, et pour le moment il s’est borné à envoyer un ultimatum demandant au gouvernement grec de désarmer les volontaires et les corsaires, de laisser partir les réfugiés crétois qui voudront rentrer dans leur pays, d’assurer une indemnité à la famille d’un soldat turc tué par des Grecs, et de s’engager enfin à respecter désormais les traités.

L’ultimatum turc, qui ne laisse d’ailleurs que quelques jours pour une décision, a naturellement soulevé toutes les passions en Grèce. L’ardeur belliqueuse a éclaté plus que jamais, et le cabinet d’Athènes se trouve