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Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 78.djvu/102

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là une remarque de l’éminent historien que nous venons de citer, — si cette distinction des deux pouvoirs est une idée propre au libéral génie de l’Occident, l’idée contraire est un principe tout oriental. Douschan ne pouvait admettre plus longtemps que le chef, même nominal, de la religion serbe fut un pontife de Constantinople. Ce n’était pas assez d’avoir assuré au clergé serbe, dès le xie siècle, le droit d’élire son archevêque ; tout le clergé de rempir& de Douschan, réuni à Phéra au nom de l’empereur des Romains, du tsar de Macédoine aimant le Christ, donna un patriarche à la Grande-Serbie.

Ce règne de Douschan est la période glorieuse de l’histoire des Serbes. Douschan est plus qu’un gagneur de batailles, c’est un pasteur de peuples. L’historien du droit slave, M. Maciejowski, affirme que, de toutes les législations slaves, la plus conforme au caractère national est la législation serbe ; à Douschan appartient l’honneur d’en avoir établi les bases. On l’avait surnommé Douschan le Fort (silni) ; on aurait pu l’appeler aussi Douschan le Juste. Il s’appliquait à corriger les mœurs barbares de ses sujets ; pour cela, il faisait des emprunts à la civilisation byzantine et à la culture meilleure des Yénitiens, continuant ainsi la tradition instinctive qui de tout temps avait poussé les Serbes à prendre une place intermédiaire entre l’Occident et l’Orient. Il s’était fait recevoir citoyen de Venise avec tous les droits d’indigénat et la promesse formelle de n’être livré à aucune puissance étrangère, car il prévoyait les catastrophes où pouvaient l’entraîner la situation de Byzance et les propres nécessités de sa politique. L’invasion des Turcs, appelés par Cantacuzène, la faiblesse de l’empire byzantin, déchiré par les compétitions adverses, tous ces dangers, encore plus que ses désirs de gloire, le poussaient à convoiter pour lui-même le trône de Constantinople. Les Turcs étaient décidément les alliés de celui qu’il nommait jadis son frère, Cantacuzène avait donné sa fille Théodora au sultan Soliman avec la ville de Gallipoli pour dot. Les Grecs de Cantacuzène et les Turcs de Soliman avaient déjà battu l’empereur serbe (1351) ; cette nouvelle invasion, cet établissement des Turcs aux frontières de la Serbie, devaient pousser Douschan à des résolutions décisives. Qu’allait devenir le grand travail de civilisation commencé avec tant d’ardeur ? Il fallait écarter ce danger ou périr. Douschan ramassa toutes ses forces pour une entreprise gigantesque ; il voulait balayer les Turcs des bords de la Mer-Noire, puis, renversant à la fois les deux prétendans, Cantacuzène et Paléologue, transporter à Constantinople le centre de l’empire serbe. Il s’avançait plein d’ardeur, plein d’espoir, à la tête de sa formidable armée, quand la mort l’arrêta brusquement dans une ville d’Albanie (1356).

Si l’introduction des Turcs en Europe par le lâche Cantacuzène