devait être cent ans plus tard pour toute la chrétienté orientale la cause d’effroyables malheurs, la mort de Douschan a été pour la Serbie le commencement immédiat de la ruine. La Serbie va lutter encore pendant un demi-siècle, elle aura encore de grands noms, de glorieuses figures, mais tout cela en vain ; chaque année lui enlèvera un morceau de cet empire établi par Douschan, et qui pouvait aspirer à de si hautes destinées. Son fils, Ourosch V, était trop faible pour un tel fardeau. Après des tragédies domestiques dont le détail n’est point de notre sujet, les chefs de la féodalité serbe mettent à mort l’indigne héritier de Douschan, le dernier rejeton de Nemanja, et l’on voit paraître sur plusieurs points des chefs nouveaux, les uns appelés simplement voïvodes, les autres prenant le titre de rois, un Voukachine, un Marko Kralievitch, Lazare surtout, le knèze Lazare, dont le souvenir enflammait, il y a cinquante ans, les compagnons de Kara-George. Nous retrouverons tous ces noms dans les chants des montagnes. Pourquoi Marko et Lazare sont-ils les préférés de la légende épique ? Parce qu’ils sont consacrés par l’infortune, parce qu’ils représentent la nation à l’heure des luttes suprêmes, dans ces luttes où, enveloppée par l’invasion ottomane, entamée sans cesse, mutilée, blessée à mort, jamais elle ne désespéra.
Les jours funestes approchaient. Lazare voulut tenter un grand coup : il appela aux armes tous les princes chrétiens de la péninsule illyrique, tous les voïvodes qui défendaient encore çà et là quelques lambeaux de l’empire de Douschan, et résolut de faire décider par les armes à qui devait rester l’Europe orientale, aux soldats du Christ ou aux soldats de Mahomet. La bataille eut lieu à Kossovo le 15 juin 1389, bataille terrible, acharnée, où tombèrent les deux chefs, le sultan Murad et le knèze Lazare. Les Serbes furent vaincus. On voit encore à Krouschevatz, vieille résidence des rois de Serbie, les restes de la mosquée où la fille de Lazare, Méléva, fut contrainte d’épouser Bajazet, fils de Murad. Uoe autre tradition serbe rapporte que les Turcs ne durent la victoire qu’à la trahison d’un knèze, Vouk Brankovitch, jaloux du succès de son frère d’armes, Milosch Obilitch. Vouk Brankovitch aurait été enseveli dans cette même mosquée, et tous les vendredis, pendant quatre siècles, les Turcs auraient allumé des feux sur sa tombe. Ce monument de honte n’existe plus. Lorsque Kara-George, dans les premières années de la guerre de l’indépendance, entra vainqueur à Krouschevatz, il fit briser la pierre, creuser la fosse et jeter au vent les ossemens du traître.
La journée de Kossovo marque la fin de l’ancienne Serbie. Bajazet n’a exigé que deux choses des héritiers de Lazare, la jeune