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princesse Méléva et un tribut annuel ; à ces conditions, il peut laisser subsister la royauté des vaincus, cette royauté n’est qu’une ombre. La veuve de Lazare, Milica, après avoir partagé un instant le trône déchu avec son fils Stefan Lazarevitch, va s’enfermer dans un couvent. La vie monastique était le refuge des Serbes. On a remarqué le caractère religieux des rois de la dynastie de Nemanja, les liens qui les unissent au clergé national, ce goût qui les porte vers le cloître, même aux jours de prospérité, le prix qu’ils attachent à compter dans leur famille des archevêques, des patriarches, l’ambition qu’ils ont tous, même les plus violens, d’être inscrits plus tard sur la liste des saints. Était-ce instinct politique ou sentiment religieux ? Je crois que les deux choses marchent ici d’accord. Il est certain que l’union de la royauté et de l’église, cette union sans ombrage, sans effort, sans besoin de concessions réciproques, cette union naturelle et naïve telle qu’on la voit chez les Serbes d’autrefois, est une chose unique dans l’histoire. Les rois serbes obéissaient au génie de leur race en favorisant cette union ; il est clair pourtant qu’ils savaient très bien ce qu’ils faisaient quand ils voulaient avoir une église à eux et prendre place après leur mort parmi les saints nationaux. Princes politiques, princes doux et rêveurs, tous ont suivi la même voie. On ne s’étonnera donc pas que le premier roi de la Serbie déchue, le pieux Stefan Lazarevitch, n’ait plus songé qu’à devenir un saint. Sa cour ressemblait à un cloître. Il vivait dans la prière et la contemplation, indifférent aux événemens du dehors, désintéressé de ces luttes où la Serbie n’avait plus de rôle à jouer, attentif seulement à remplir ses devoirs de vassal tantôt envers le sultan des Turcs, tantôt envers l’empereur d’Allemagne. Après lui, d’autres souverains apparaîtront encore, pâles ombres, figures plaintives dans le crépuscule de la nuit qui descend. Quelques-uns essaieront de s’unir aux Hongrois, de prêter main-forte à Jean Hunyade. Inutiles efforts ! la religion même, leur dernière ressource, la religion, qui faisait leur force, les condamne à l’inaction ; ils craignent le prosélytisme catholique des Magyars. À quoi bon d’ailleurs s’occuper de ces hommes qui n’ont des rois que le titre ? Les derniers souverains de la vieille Serbie, c’est la reine Milica, devenue religieuse, c’est le doux Lazarevitch, perdu dans ses contemplations. La véritable oraison funèbre de cette dynastie morte, ce sont les pages où un moine célèbre, Constantin le Philosophe, trace l’éloge enthousiaste du moine couronné. « Honorons Stefan Lazarevitch, répète sur tous les tons le panégyriste convaincu : il est grand, il est sage, il est le digne fils du glorieux Lazare, il est le protégé de Dieu, il est le gardien de la foi ! » Curieux exemple de cette alliance obstinée de l’église