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traordinaire et un plus prodigieux changement accompli en moins de temps par un seul homme ? Ailleurs, nous avons vu un simple avocat, inconnu en Europe, porté à la tête d’une nation héroïque par le seul renom de sa vertu, dicter les conditions de la reconstitution de l’empire d’Autriche, assurer au descendant de tant d’empereurs la couronne de saint Étienne, et encore aujourd’hui, disposant de la confiance de ses concitoyens, tenir dans ses mains le sort de ce puissant état et en position de jeter ainsi un poids décisif dans la balance en cas de conflagration générale. Cet homme, c’est François Deák. Depuis que l’attention se porte sur les affaires d’Allemagne, on entend sans cesse répéter son nom, et je ne vois guère en Europe de citoyen disposant d’une pareille puissance. Il ne sera donc pas sans intérêt de faire connaître sa vie et ses opinions.


I.

François Deák naquit le 13 octobre 1803 à Söjtör[1], dans le comitat de Zala. Son père y possédait une propriété rurale qu’il faisait valoir lui-même, comme tous les propriétaires hongrois, et dont les produits suffisaient à ses modestes besoins. Les Deák appartenaient à la classe moyenne de la noblesse ; ils étaient cependant d’ancienne famille : la mère du fameux Verböczy, l’auteur du corpus juris hongrois, s’appelait Apollonia Deák, de Deákfalva. Ils portaient dans leur écusson un livre et une plume, emblèmes d’aspect peu féodal, mais qui semblaient indiquer d’avance d’où devait provenir l’illustration de ce nom, jusqu’à ce jour inconnu à l’histoire. François Deák fit ses humanités à Györ, puis étudia le droit à Raab. Il y débuta même comme avocat ; mais, tout en plaidant et en s’initiant aux arcanes de la jurisprudence, il s’occupait avec passion de politique, comme tout le monde en Hongrie à cette époque.

La résistance séculaire et indomptable des Magyars contre les empiétemens de la cour de Vienne, suspendue pendant les guerres de Napoléon, venait de se réveiller plus ardente que jamais. Contrairement au texte des anciennes lois hongroises, la diète n’avait plus été convoquée depuis 1811. De 1822 à 1824, le gouver-

  1. La plupart des notices publiées en allemand portent que Deák est né à Kehida. Söjtör, Kehida et Puszta-Szent-Lászlò étaient trois domaines qui formaient l’ancienne propriété de la famille Deák. Le domaine de Söjtör et la maison où Deák est né appartiennent aujourd’hui à sa sœur, Mme d’Oszterhuber. Deák hérita de Kehida après la mort de son frère Antoine, et il y résidait habituellement jusqu’en 1849. Sa retraite favorite pendant l’été est une habitation des champs qu’il a conservée à Szent-Lászlò, près de Söjtör. Sous les ombrages des tilleuls et des ormes, il consacre ses loisirs à la sculpture sur bois, où il réussit, paraît-il, très bien. Deák a vendu en 1849 sa terre de Kehida au comte Széchenyi.