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compagnie des Indes. À vingt-trois ans, il tenait déjà un haut rang à Pondichéry. Les officiers de la compagnie avaient à cette époque la licence de faire le commerce en leur propre nom. Quoique les affaires fussent alors dans un déplorable état de stagnation, Dupleix se lança audacieusement dans les spéculations commerciales et y réussit. En 1730, il était intendant de Chandernagor ; cette colonie, trop négligée dès l’origine par les directeurs de la compagnie, était sans ressources ; le nouvel intendant y introduisit des habitudes d’activité et d’énergie, si bien que quelques années plus tard le port de Chandernagor envoyait des navires sur toutes les côtes de l’Asie, depuis Bassorah jusqu’en Chine. Dès le début de son installation à Pondichéry, il montra la même ardeur ; il ne perdit pas non plus une occasion de se concilier l’amitié des princes indigènes du voisinage. Arborant les insignes du grade de nabab, dont son prédécesseur avait été doté, il se posait aux yeux des habitans du Carnatic moins comme le représentant d’une puissance étrangère que comme l’un des lieutenans de l’empereur de Delhi.

Cette politique prévoyante ne fut pas longue à porter des fruits. En 1744, la guerre de la succession d’Autriche mit aux prises la France et l’Angleterre. Pour la première fois, ces deux nations rivales se disputèrent l’empire de l’Inde. Madras, à 30 lieues au nord de Pondichéry, était le centre des établissemens anglais. Le lieu avait été assez mal choisi ; la rade, qui n’est abritée ni des vents ni des courans, est surtout dangereuse durant la mousson d’hiver, d’octobre à janvier. Le pays d’alentour ne dédommage pas de ces inconvéniens : le sol est sec et stérile, la population rare. Nonobstant, cette ville, fondée depuis un siècle et gouvernée avec prudence, s’était peuplée à la longue d’une grande quantité d’indigènes qui venaient vivre en paix ou faire fortune à l’abri du pavillon britannique. Le gouverneur, Morse, vieil employé de la compagnie, avait été occupé toute sa vie d’opérations commerciales, et se souciait peu des affaires politiques, auxquelles il n’entendait rien. Entre lui et Dupleix, la partie n’était pas égale ; mais le gouvernement britannique avait bien pris ses mesures. Tandis que Pondichéry était presque dégarni et que nul vaisseau de guerre de notre nation n’était en état de se montrer sur la côte de Coromandel, une escadre anglaise croisait dans les mers de l’Inde et menaçait d’y anéantir la marine française. Si l’ennemi se présentait en forces devant Pondichéry, la place, fortifiée à la hâte, était incapable d’offrir une longue résistance. Dupleix fit appel aux sentimens d’estime et d’amitié que le nabab du Carnatic avait témoignés de tout temps aux immigrans français. Ce souverain était alors un certain Anwaroudin ; il se souvint des services que Dumas avait rendus au