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pas fait faute d’attribuer le traité de restitution de Madras à des sentimens cupides ; ils n’en avaient produit aucune preuve. M. Malleson prétend qu’il existe dans les archives de India-House un témoignage certain que La Bourdonnaye reçut des Anglais à cette occasion un présent personnel de 100, 000 pagodes. En eut-on quelque soupçon en France ? Il serait possible, car La Bourdonnaye fut enfermé à la Bastille dès son retour, sous l’accusation assez vague d’avoir employé à son profit les fonds de la compagnie. Il y resta trois ans au secret, réduit, faute d’encre et de papier, à écrire sa justification sur un mouchoir avec du marc de café ; il en sortit comme il y était entré après un semblant de jugement qui proclama son innocence, et mourut peu après, le 9 septembre 1753. Il nous répugne de croire que ce grand homme fut aussi coupable que le dit l’historien anglais. Du moins on peut affirmer que, s’il a passé dans l’histoire de l’Inde comme un brillant météore, il n’y a rien accompli d’utile pour les intérêts de sa patrie.

Le départ de l’amiral mettait fin à un dangereux conflit : les Anglais étaient abattus, Dupleix était maître de la situation ; mais de nouveaux dangers menaçaient la colonie française. Le nabab Anwaroudin n’avait consenti à laisser les Français entrer à Madras que sur la promesse qui lui avait été donnée que cette conquête lui serait remise. Pendant un mois entier que La Bourdonnaye fut maître de la ville, Dupleix ne put tenir ses engagemens. Le nabab s’impatientait de ce retard. Se croyant bravé, il réunit une armée de 10, 000 hommes sous les murs de Madras, et prit une attitude menaçante envers les Européens. Rien n’était plus contraire à la politique du gouverneur que l’idée d’entrer en lutte avec les natifs. Fidèle aux traditions de ses prédéceseurs, il avait toujours manifesté le désir de n’étendre les possessions françaises qu’en conservant une entente intime et cordiale avec les monarques indigènes. Cependant, en présence d’une attaque imminente, il eût été imprudent de conserver un rôle purement défensif. Un des meilleurs officiers de la colonie, le capitaine Paradis, se porta à la rencontre de l’armée ennemie avec un détachement de 230 Européens et 700 cipayes. La lutte était singulièrement disproportionnée, car le général Marphuz-Khan, fils d’Anwaroudin, s’était retranché près de Saint-Thomé dans une excellente position couverte par plusieurs batteries de canon, tandis que Paradis n’avait pas même une pièce d’artillerie. Néanmoins ce vaillant officier eut l’audace d’attaquer un adversaire dix fois supérieur en nombre. Secondé par une sortie opportune de la petite garnison de Madras, il culbuta les indigènes, qui s’enfuirent dans le plus complet désordre.

Ce combat fut livré le 4 novembre 17466. C’est une date mémorable dans l’histoire de l’Inde, M. Malleson le remarque avec raison.