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haut point l’amour de leur carrière et de leur patrie. Ce sont les efforts et la vie de ces hommes que nous allons essayer de raconter.


I.

En 1700, au moment où allait s’ouvrir la guerre de la succession d’Espagne, la marine française était déjà sur une pente fatale. Créée par Colbert, née de son génie persévérant, de son intelligente économie et de toutes les ressources de la politique qu’il sut faire adopter à Louis XIV, elle avait promptement atteint sous cette administration habile et vigoureuse une puissance extraordinaire. Au début, n’ayant point de vaisseaux, Colbert avait fait venir des constructeurs de la Hollande, acheté du bois et du fer dans les contrées du nord, établi sur des bases durables les arsenaux de Toulon et de Brest, qui existaient à peine, écrit ces admirables ordonnances qui, après deux cents ans, se sont conservées presque entières, fondé la compagnie des Indes, encouragé le commerce par toutes les faveurs imaginables, défendu et augmenté nos colonies, et à la paix d’Aix-la-Chapelle il pouvait déjà présenter au roi un état imposant des forces maritimes de la France. Allié tour à tour de la Hollande contre l’Angleterre et de l’Angleterre contre la Hollande, allié inutile, mais habile, il sut emprunter à l’une ses ressources matérielles, à l’autre sa tactique, et, les laissant mutuellement s’affaiblir, assit fortement sur leurs pertes communes les fondemens de la marine française, qui devait être bientôt leur rivale heureuse. Sous Seignelay, son fils, elle brilla du plus vif éclat. Elle couvrit l’Océan et la Méditerranée avec des flottes de 100 vaisseaux commandées par des hommes tels que Tourville, d’Estrées, Duquesne, Coetlogon, Chateau-Regnault. Elle ajouta dans ses fastes aux victoires de Messine, d’Agosta et de Palerme les noms du cap Beveziers, de Beachy-Head, de la baie de Bantry. Elle n’eut qu’un revers, aussi beau qu’un triomphe, La Hogue. De là cependant date sa décadence. Ce n’est pas que les pertes subies à La Hogue fussent irréparables, car l’année suivante, en 1693, Tourville reparut dans la Manche avec 98 vaisseaux de ligne; mais les finances s’étaient obérées par la longueur de la lutte, et l’on ne put dès lors fournir à la marine les ressources qu’elle eût exigées. En même temps le fils de Colbert, dont le génie eût peut-être grandi avec les circonstances, vint à mourir, et son successeur, Jérôme Phélippeaux, comte de Pontchartrain, homme froid, calculateur et méthodique, la laissa s’engourdir et la livra impuissante, sans ressort, à son fils quand il quitta le ministère en 1700.

Toutefois cette belle création de Colbert n’était point encore