et puis des exemples isolés n’altèrent pas le fond du tableau. Il y a chez le paludier une fierté native qu’on juge parfois excessive, mais qui le relèverait bien vite au besoin d’un affaissement accidentel. Cette fierté des caractères domine jusque dans la gêne la plus cruelle. Si malheureux qu’on soit, on ne se plaint guère; silencieuse et résignée, la misère cherche à se dissimuler au dehors. Elle se voile tant qu’elle peut. En voyant les familles le dimanche, on ne se douterait jamais de ce qu’elles peuvent endurer de privations pendant la semaine. A l’intérieur des habitations, on cherche également par la bonne tenue des ménages à sauver les apparences. Les économies portent sur l’alimentation, parce que de cette manière l’amour-propre au moins n’a point à souffrir. « Cache ton bonheur, » disait un philosophe de l’antiquité; mais ici c’est le malheur qui s’efforce de se dissimuler aux regards.
Un autre trait saillant, c’est que dans son travail le paludier aime mieux les grands coups de main, les rudes poussées, comme on dit, interrompues par des repos plus ou moins longs, que des efforts moindres, mais constans. Ce goût provient visiblement du genre de sa tâche journalière, qui n’est pas continue. Il en est à peu près de même pour la pêche. Presque toujours le pêcheur hors de sa barque semble incapable de toute besogne. Ce qui l’éloigne de la mer existe à peine devant ses yeux. La mer, voilà son champ, sa vigne, son atelier. Il restera de longues heures assis au pâle soleil de l’hiver, abrité contre le vent le long d’un mur, ou debout sur un quai, regardant d’un œil distrait le flot qui s’élève ou s’abaisse, sans se demander si le temps qu’il dépense ainsi stérilement ne pourrait pas recevoir quelque emploi avantageux. Que la mer seule doive le nourrir, telle est sa conviction la plus habituelle. Cette commune pensée semble d’autant plus profondément enracinée que les hommes restent plus longtemps embarqués. Sur certains points des côtes, ce sont les femmes qui cultivent les lambeaux de terre ensemencés. Voyez-vous des hommes travailler dans les champs, ce sont les invalides de la navigation, ou bien ceux que la mer a d’elle-même repoussés de son sein. Si dans les récits du foyer, comme dans les premiers exemples qu’il a sous les yeux, l’enfant du Croisic et de la Turballe apprend à aimer la mer, ce n’est point cependant la pêche qui captive d’abord sa jeune imagination. Il dirige sa préférence vers la navigation lointaine, qu’entoure plus de mystère et d’imprévu. Il ne reste guère sur les embarcations des côtes; au bout de peu de temps, il s’en échappe et s’engage comme novice pour le grand cabotage ou pour les voyages au long cours. Ce n’est que beaucoup plus tard, vers l’âge de quarante ou de quarante-cinq ans, alors que le navire long-coursier dédaigne son âge mûr, qu’il se consacre à la pêche. Sur les rivages du bas de la Loire, la pêche