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voir comme la côte se couvre d’habitations. Si le chemin de fer s’écartait du rivage, cette perspective de développement s’évanouirait. Les transports provenant des salines et de la pêche ne peuvent pas suffire à l’alimentation d’une route ferrée. Certes l’appoint provenant de ces deux sources n’est point à dédaigner ; mais ce n’est qu’un appoint. Pour la pêche, le transport périodique n’occupera jamais que peu de place sur les véhicules. Quant au sel, on ne hasarde rien en disant qu’année moyenne toute la récolte pourrait, s’il le fallait, être transportée en moins de douze jours. Ce n’est que sur le mouvement des personnes et celui des marchandises que ce mouvement même implique, qu’il faut compter pour alimenter la traction. Pays à vivifier, essor à donner aux affaires, possibilité de vivre pour la voie ferrée, tout milite en faveur du tracé le long de la mer. Quant à la nécessité d’aboutir à Guérande, elle n’est pas moins manifeste. C’est vers cette ville que sont dirigés tous les produits d’un pays fécond en vin, en céréales, en bétail, et dont il importe de ne pas troubler arbitrairement les habitudes. Laisser Guérande à l’écart, ce serait se priver de gaîté de cœur des avantages inhérens à un marché dont la clientèle est faite. D’ailleurs le chemin de fer récemment voté appelle un prolongement du côté de la Vilaine pour aller par les marais salans de Saint-Molf et de Mesquer et par le district agricole d’Herbignac rejoindre à Redon la voie ferrée de Nantes vers le Morbihan et le Finistère. Indispensable pour compléter de ce côté le système des chemins de fer départementaux, cet embranchement ne peut avoir son point de départ qu’à Guérande.

On peut juger désormais des conditions dans lesquelles s’accomplissent au bas de la Loire les modifications économiques dont nous parlions en commençant. On le voit, l’attachement au sol natal, le respect des traditions, le culte du passé, n’ont pas empêché les habitans des côtes occidentales de ressentir les effets de l’esprit d’entreprise et des aspirations vers le progrès qui sont un des signes et une des nécessités de notre temps. Leur situation et même leurs habitudes aggravent pour eux par certains côtés les conditions de la lutte industrielle dans laquelle il faut, sous peine de périr, que ce pays reprenne son rang. Heureusement les qualités morales de ces populations les mettent dans une situation plus favorable que ne le feraient les ressources matérielles de la région qu’elles ont à exploiter. En les examinant à ce point de vue, on reconnaîtra qu’elles forment un rameau vigoureux dans le grand faisceau des forces nationales, et que leur plus grand tort sans doute est de s’être laissé trop oublier.

A. Audiganne.