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se serait pas attaché à multiplier les armemens, à augmenter notre puissance militaire au point de la rendre onéreuse, à organiser nos forces de façon à leur donner ce caractère de disponibilité qui doit effectivement faire réfléchir ceux qui seraient tentés de soulever de mauvaises querelles. Il ne pouvait avoir qu’une pensée, comme on l’a dit, celle de rétablir par l’équilibre militaire l’équilibre politique rompu ; mais cette pensée même est ce qui détruit le plus complètement d’avance toutes ces petites et vaines démonstrations par des cartes de géographie ; c’est là révélation saisissante des changemens qui se sont accomplis, de la nouveauté d’une situation où la paix ne tient plus qu’au respect de la force pour la force. C’est ce qui domine tout aujourd’hui, et c’est même ce qui fait que tous ces bruits de désarmemens partiels qui courent quelquefois ont si peu de succès et si peu d’efficacité pour réveiller la confiance publique. Il importe assez peu en vérité de congédier quelques soldats dans des pays où les chefs militaires se vantent eux-mêmes d’avoir organisé leurs forces de manière à les avoir sous la main et à pouvoir faire marcher leurs armées en une dizaine de jours. Le danger n’est point dans la présence de quelques hommes de plus ou de moins sous les drapeaux de la France et de la Prusse, le danger est dans le caractère même de ces armemens nouveaux à l’abri desquels toutes les politiques vont se placer, dans des institutions militaires qui ne sont elles-mêmes que l’expression permanente, redoutable, de deux situations contraires qui se menacent sans cesse par une invincible logique, même quand on affecte le plus de prodiguer cette monnaie courante des protestations pacifiques.

La vérité est que dans cette situation pleine de dissonances et d’intimes orages, on risque toujours de se heurter à quelque complication imprévue. Il y a quelque chose qui semble neutraliser sans cesse les efforts qu’on a l’air de faire, et rendre la paix, cette malheureuse paix qu’on poursuit, plus laborieuse et plus problématique. Au moment où on se croit plus rapproché ou moins éloigné du but, tout est remis en question par une sorte de fatalité qui n’a pourtant rien que de simple, puisqu’elle tient à tout un ordre d’événemens. Un jour, c’est cette question du Slesvig qui reparaît à l’horizon du nord, et qui, réduite à ce qu’elle est, à la rétrocession de quelques districts, n’a plus certes qu’une médiocre importance, mais qui peut garder sa gravité, ne fût-ce que comme prétexte, comme le dernier signe d’une situation anormale entre le Danemark et l’Allemagne, surtout s’il est vrai, ainsi qu’on l’a dit à Berlin, que la Prusse se montre peu disposée à exécuter cette partie du traité de Prague en présence de la possibilité d’un conflit européen. Un autre jour, c’est de Vienne que part le signal d’inquiétude, nouveau coup de fouet donné à l’opinion. Que la proposition faite au reischrath de relever l’état militaire de l’Autriche et de le porter au chiffre de 800 000