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Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 78.djvu/240

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hommes n’ait rien qui ne soit assez naturel dans cette fureur de préparatifs guerriers qui s’est emparée de l’Europe, on le sait bien ; ce n’est pas le fait lui-même qui est extraordinaire. Que de plus M. de Beust ait pu se laisser aller à exagérer un peu les couleurs pour hâter la discussion et enlever le vote de la commission du reischrath, ce serait encore possible. Il n’est pas moins vrai que les motifs invoqués par le chancelier d’Autriche pour qu’on ne disputât pas les moyens militaires au gouvernement étaient de nature à avoir un singulier retentissement.

M. de Beust s’est expliqué avec d’autant plus de liberté qu’il parlait dans l’intimité d’une commission en recommandant le secret. Naturellement le secret a été bien gardé, puisque toute l’Europe le connaît. Or la situation de l’Autriche, telle que le chancelier de l’empire l’a peinte, n’est rien moins que rassurante pour l’empire et pour l’Europe elle-même. Un conflit toujours imminent et presque prévu entre la France et l’Allemagne nouvelle, la Prusse ne répondant point parfaitement aux tendances bienveillantes et à la réserve du cabinet de Vienne, la Russie froide et expectante, paraissant être la première des puissances qui trouvent que a l’Autriche a ie tort d’exister, » l’Italie amicale, mais n’ayant pas toujours les mains libres, les principautés danubiennes transformées en un vaste arsenal de guerre par on ne sait qui et pour l’exécution de projets inconnus, ce sont là quelques-uns des traits du tableau que M. de Beust a tracé de l’Europe. L’Autriche, en restant libre, impartiale et réservée, doit, selon lui, se tenir en mesure de se défendre contre toute pression extérieure, d’exercer aussi sa part d’influence dans les événemens qui peuvent éclater. Quel que puisse être l’entraînement d’un discours presque familier, il est difficile d’admettre qu’un homme aussi exerce, un chancelier d’Autriche, ait pu parler ainsi par une simple fantaisie d’imagination. S’il a cru devoir accentuer les traits, c’est que sans doute il le jugeait utile. Son discours, même atténué, a évidemment de la portée dans les conditions actuelles, à moins qu’il n’ait fait de la diplomatie en parlant de ce ton, et que nous n’en fassions à notre tour en nous amusant à des cartes modestes et pacifiques. Rien ne peint mieux assurément l’instabilité profonde et chronique de cette situation européenne où les incidens se succèdent, où la lumière éclate par intervalles, et où l’opinion déroutée finit par croire à tout parce qu’elle ne peut plus croire à rien.

Il se reproduit quelque chose de semblable dans nos affaires intérieures. On parle de la stabilité comme de la paix, et l’on n’y croit pas. On est toujours porté à soupçonner des crises intimes, des chocs d’influences qui après tout existent peut-être quelquefois, à prédire des changemens qu’on croit inévitables parce qu’ils sont nécessaires. Le fait est que sous une apparence de calme monotone l’opinion reste incertaine et sceptique ; elle n’est ni satisfaite ni confiante. D’où vient cette dispo-