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la défiance qu’une demi-liberté aggrave, qu’une liberté vraie peut seule guérir.

S’il est un spectacle fait pour ajouter aux démonstrations du temps présent et pour réveiller parmi les hommes tous les goûts libéraux, c’est celui des époques et des régimes qui n’ont rien de libéral. On parle souvent, et c’est un argument bien vain, des faiblesses et des erreurs de la liberté ; mais ce qui est plus éclatant encore, c’est la faiblesse du despotisme lui-même. Il a beau faire, il ne peut pas durer, il ne peut pas heureusement aller jusqu’au bout de ses entreprises, il est arrêté en chemin par une puissance invisible. Quand il croit avoir dompté tous ses ennemis, sa force échoue contre un dernier ennemi plus dangereux que tous les autres, la nature des choses ; quand il pense avoir vaincu toutes les résistances matérielles, il se trouve en face d’une résistance morale qu’il n’avait pas prévue, dont il se figure rester maître, et qui finit par avoir raison de lui. Un jour de 1808, — on touchait à la guerre d’Espagne et on allait prendre Rome, — le cardinal Fesch, qui n’était pourtant pas un démagogue ni même un idéologue, écrivait à l’empereur son neveu : « Sire, vous couvrez la terre de vos armes et de votre puissance, mais vous ne sauriez commander aux consciences. » C’est le résumé de l’histoire des démêlés de Napoléon et de la papauté, de cette histoire que M. d’Haussonville déroule dans ces études sur l’Église romaine et le premier empire qui excitent un si vif intérêt à mesure qu’elles se succèdent ici même, et dont le troisième volume, publié aujourd’hui, conduit jusqu’à la captivité de Pie VII. Le livre instructif, substantiel et neuf sous plus d’un rapport de M. d’Haussonville touche à bien des problèmes ; il a toute sorte d’opportunités à un moment où s’agitent plus que jamais ces questions du pouvoir temporel, de l’indépendance de l’église et de l’état, qui marchent à grands pas vers leur solution, pourvu qu’on ne prétende pas les trancher par des procédés renouvelés d’autrefois. Certes, à un point de vue supérieur, ces luttes elles-mêmes montrent le peu de défense qu’un pape trouve dans une souveraineté politique, et le danger qui résulte pour son autorité religieuse de cette confusion de pouvoirs et d’intérêts ; mais ce n’est pas de cela qu’il s’agit pour le moment. Cette histoire si impartialement racontée par M. d’Haussonville a un intérêt d’un autre genre, d’un ordre moral et politique.

Il y a dans l’âme humaine mise en présence de certains faits de tels réveils d’équité naturelle, un tel instinct de résistance aux dominations abusives, que malgré tout, même quand Napoléon aurait raison quelquefois, même quand il semblerait se faire le champion d’une idée destinée à vaincre dans l’avenir, il trouve le moyen de gâter sa cause, et toutes les sympathies suivent invinciblement ce vieux pape qu’il arrache du Quirinal pour le traîner de Rome à Grenoble, de Grenoble à Savone, de Savone à Fontainebleau. Dans ce duel étrange, Pie VII n’est plus seule-