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ment un chef de la religion en lutte avec l’esprit de la société civile, c’est le représentant désarmé de toutes les indépendances foulées aux pieds ou menacées, c’est la conscience aux prises avec la brutalité despotique, c’est la faiblesse contre la force, et ce vieux pape dans sa prison est en vérité plus embarrassant que lorsqu’il était sur son vieux trône, sans alliés et sans secours. Ce qu’il y a de plus étonnant et de plus triste encore que le fait lui-même, c’est la puérilité cauteleuse et violente avec laquelle l’empereur s’ingénie à cerner, à étouffer et à déjouer cette résistance qui lui échappe. Napoléon croit réussir en décourageant le pape par les menaces et par l’isolement, en faisant le silence autour de lui, et en séquestrant, pour ainsi dire, la question. Il ne réussit qu’à se perdre dans un système de ruses et de persécutions sans nom, allant jusqu’à faire crocheter les bureaux du captif de Savone pendant ses promenades. Le malheur de Napoléon, c’était de croire qu’il pouvait tout, qu’il avait droit de haute et basse justice sur tout, qu’il n’avait qu’à vouloir pour se faire pape lui-même, que son pouvoir ne connaîtrait pas de colonnes d’Hercule, comme il le disait un jour à son frère Joseph dans le paroxysme secret d’un orgueil solitaire. Il s’accoutumait ainsi à tout braver, à tout mépriser, à ne pas tenir plus de compte de ses ennemis que de ses amis, d’un vieillard sans défense que de l’honneur de ceux qui l’entouraient, témoin cette scène du conseil d’état où, dépassant toutes les bornes de l’infatuation et de la dureté calculée, il chassait M. Portails comme un infime serviteur pris en faute, — parce que M. Portails avait connu un bref du pape ! Et puisque nous sommes sur ce point des procédés de l’empire, il faudrait citer aussi une récente brochure publiée à La Haye sur Napoléon Ier et le roi de Hollande. Ce récit intéressant de M. Jorissen sur un épisode de la politique impériale est un document de plus dans l’histoire, qu’il rectifie en l’éclairant de révélations nouvelles. Napoléon traitait ses frères comme le pape, comme ses serviteurs les plus dévoués. Le jour vient cependant où toutes ces forces, ces faiblesses, si l’on veut, ces dignités et ces sentimens humiliés ou enchaînés se relèvent et retombent sur celui qui a cru qu’il suffisait de mépriser les hommes pour les gouverner. C’est assurément le plus grand exemple du dérèglement du despotisme, mais aussi en fin de compte de son impuissance.

Il faut que les peuples, à cette école de l’histoire comme sous l’influence de leurs intérêts les plus immédiats, s’accoutument à se gouverner, à ne chercher qu’en eux-mêmes les moyens d’assurer leur indépendance et leur prospérité, et de tous les moyens d’échapper aux dictateurs, aux sauveurs qui naissent toujours dans les temps de révolution, le meilleur c’est de les rendre d’avance inutiles par une politique de forte et libérale modération qui retienne un pays sur le penchant des agitations indéfinies. L’Espagne aujourd’hui, à la suite de sa dernière