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mer sa présence avec l’enthousiasme consacré et lui jeter le bouquet de la mariée. Mme Patti n’a qu’un moment à nous donner, Saint-Pétersbourg avant un mois va nous la prendre; il a donc fallu se hâter et tout de suite entrer in médias res. La Lucia, Rigoletto, la Traviata, puis le Barbier et Don Pasquale nous l’ont montrée sous ses divers aspects de cantatrice dramatique, sentimentale et légère. Les curieux, — on sait combien dans les théâtres de musique cette engeance abonde autour de certaines personnalités féminines, — les curieux étaient de toutes parts sur le qui-vive : ne s’agissait-il pas de se rendre compte à nouveau de cette voix si rare, d’étudier les modifications que le mariage pouvait avoir apportées dans ses timbres? Nous aimons à reconnaître que sur ce point délicat la brillante virtuose n’a rien à regretter. Sa voix reste aujourd’hui ce qu’elle était hier, et même, s’il y a quelque chose de changé, ce quelque chose est à son avantage. Il semble qu’elle ait gagné en plénitude, en chaleur, en étendue. A la vérité, je suis porté à craindre qu’elle n’ait perdu en justesse. Dans la Lucia, le soir de la représentation d’ouverture, elle a constamment chanté haut, et cet accident s’est renouvelé le surlendemain dans Rigoletto, dans le quatuor du dernier acte surtout, où de malencontreuses vibrations venaient à chaque instant contrarier l’effet de ce sublime morceau. Il conviendrait pourtant d’ajouter que Mme Patti ne méritait pas tout le reproche, et que la plus grande part en doit être imputée à Fraschini, très fatigué cette année, et qui, de son chef, avait dès les premières mesures engagé l’affaire au-dessus du ton : une grande artiste, une musicienne se fût tirée de là, et pendant le cours du morceau eût trouvé moyen de rétablir l’ordre; mais nous ne sommes plus au temps de la Frezzolini, il faut bien qu’on se le dise sans trop maugréer contre le présent, et tout en rendant pleine justice aux virtuoses qu’il nous montre.

Y a-t-il seulement l’étoffe d’une virtuose chez cette jolie Lissa Ricci, fille et nièce des deux compositeurs de Crispino, et qui paraissait l’autre soir pour la première fois dans l’opéra de la famille? On se plairait à le souhaiter en voyant tant de gentillesse et de dispositions théâtrales; par malheur la voix manque, et ce défaut n’a fait que s’affirmer davantage à la reprise de la Contessina, un de ces ouvrages d’allure preste et dégagée dont la plume du prince Poniatowski emprunte le secret à la tradition du bouffe italien. C’est de l’improvisation, si l’on veut, mais à la manière des Fioravanti, des Ricci : une grande faculté d’occuper la scène, du mouvement, un entrain facile, trop facile peut-être sur le choix des motifs, et avec cela de la musique par momens excellente, comme dans le chœur d’introduction, le quatuor sans accompagnement et cette symphonie de l’orage, décidément traitée de main de maître. La main du maître, disons mieux, la main de l’homme qui sait son affaire, voilà ce que jusqu’à la fin une certaine critique ne cessera de contester à l’auteur de Pierre de Médicis. Il est ainsi nombre de ces organisa-