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Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 78.djvu/251

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qu’elle ne nous en aura donné, à nous, dans tout le cours de son année. Nous avons eu de la belle Ophélie à satiété, et voilà maintenant que nous allons voir Marguerite descendre de son cadre ! Je me demande où se trouve en Europe un public qui se laisserait faire de la sorte. Il y a pourtant un répertoire à l’Opéra, un grand répertoire où les noms de Gluck, de Mozart, de Weber, de Rossini et de Meyerbeer sont tenus en quelque honneur. Pourquoi alors pas une seule note de ces maîtres? Ces gosiers qu’on paie un prix si fabuleux n’ont-ils à nous chanter que des intermèdes, et n’y a-t-il donc rien à espérer en dehors de toutes ces chinoiseries musicales qui d’ailleurs vont se démodant? La pure et simple virtuosité ne saurait toujours suffire. Elle est de ces choses dont un poète du dernier siècle a dit qu’elles ont la fragilité du verre, comme elles en ont l’éclat. Fragilité, ton nom est voix! Que d’exquises délicatesses dont il semble que par lassitude Christine Nilsson ait aujourd’hui perdu le secret! Qu’est devenu, par exemple, dans le fabliau que roucoule Ophélie au second acte ce renflement de son d’un travail si adroit jadis, si rare et si prestigieux? Soit distraction, soit que l’effort désormais coûte trop à sa voix ennuyée, le trait ne se reproduit plus dans son incomparable précision. Ainsi d’une infinité de charmans détails que votre dilettantisme éveillé se rappelle, attend, et qui vous manquent. En revanche, on s’arrange de manière à tuer le temps, à tromper cette désuétude dont se sent à la longue accablé tout chanteur qui n’a point en lui de grandes convictions d’artiste. On envoie un petit signe de main, un sourire d’intelligence à ceux de ses amis qu’on reconnaît dans la salle, on cause en scène, on marivaude pour son propre compte; la belle Ophélie et le prince Hamlet se font des niches, et laissent M. Belval et Mme Gueymard, — les grands-parens, — croire seuls que a c’est arrivé ! » Ce n’est pas encore tout à fait, si l’on veut, comme aux Bouffes-Parisiens., mais c’est déjà peut-être un peu plus qu’il ne conviendrait à l’Opéra.

Après des vicissitudes prolongées, le Théâtre-Lyrique vient enfin d’ouvrir ses portes avec le Val d’Andorre et une nouvelle troupe qui ressemble trop à l’ancienne pour qu’on en puisse encore beaucoup parler. Au train dont vont les choses, le métier de directeur de théâtre d’ici à quelques années ne sera plus tenable. Le public a bientôt fait de dire aux gens : « Procurez-vous des chanteurs, arrangez-vous de manière à composer un ensemble qui m’intéresse, et vous me verrez peupler vos déserts. » Où sont les sujets à cette heure? Sur quel marché d’Italie ou d’Allemagne trouverez-vous cet oiseau merveilleux qui s’appelle un ténor, et dont l’espèce de plus en plus rare tend à disparaître tout à fait? Enfin, c’est à n’y pas croire, tel grand théâtre d’un pays voisin allait en être réduit tantôt à suspendre ses représentations, si le directeur de l’Académie impériale ne lui fût gracieusement venu en aide en lui prêtant M. Warot et Mlle Godefroid ! Qu’est-ce que Mlle Godefroid? Qui la connaît chez nous autrement que pour l’avoir vue jouer Inès dans la Favorite? Et penser