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qu’il y a quelque part des capitales auxquelles on peut offrir cet agrément d’entendre Mlle Godefroid chanter la Valentine des Huguenots! L’illusion ne fut pas de longue durée, il n’importe ; ce fait seul donne la mesure et de la disette absolue où sont presque toutes les scènes, et de ce qu’est aujourd’hui la troupe de l’Opéra, capable encore, tout en se suffisant à elle-même, de ravitailler çà et là les nécessiteux. Quant aux lacunes, chacun sans doute peut les dire : point de ténor que M. Villaret, chose fort triste, surtout lorsqu’on voudrait frapper un coup d’éclat avec la reprise des Huguenots ! Et cependant cette troupe de l’Opéra fonctionnant, manœuvrant d’ensemble et de commun accord, n’a pas son égale en Europe ! Si les premiers trop souvent laissent à désirer, les seconds partout ailleurs prennent la tête. Quand je dis les seconds, je n’entends point parler des coryphées, et je mets hors de jeu les exploits récens de Mlle Godefroid à Bruxelles.

Cette première soirée du Théâtre-Lyrique n’a pas répondu à tout ce qu’on en attendait. Était-on bien en droit de beaucoup attendre ? Au dehors, l’illumination annonçait la fête ; au dedans, c’était froid, morose ; la musique d’Halévy n’éveillait que de sourds échos. C’est pourtant un ouvrage rempli d’intérêt que ce Val d’Andorre, une partition très proche parente des Mousquetaires de la reine. Même style travaillé, alambiqué, inquiet, toujours en passe de changer ses mouvemens, et par instant beaucoup d’élévation, de pathétique. La romance de Rose de mai, au second acte, est un chef-d’œuvre d’expression tendre et désolée. Cet Halévy, qui cependant fut un maître, n’a jamais eu dans sa vie qu’une note, une note de hautbois, que depuis l’admirable adagio de l’air d’Êléazar dans la Juive vous retrouvez partout, mais si intense, si douloureusement ressentie, qu’elle éveille en vous des vibrations irrésistibles. D’ail-leurs quel musicien n’a été plus ou moins l’homme d’une note et d’un instrument ? Weber n’a de prédilection que pour la clarinette ; l’âme d’Hérold, elle est dans le violon, comme l’âme d’Halévy dans le cor anglais. — Il faudrait, pour traduire le beau morceau dont je parle, un autre talent et d’autres moyens que n’en possède la jeune artiste qu’à défaut de celle à qui d’abord on avait pensé le Théâtre-Lyrique vient de faire débuter. Grande, élancée, d’une physionomie agréable, avec de jolis yeux très capables d’expression, Mlle Fidès Devriès sait jouer, s’émouvoir, et déjà s’entend à passionner la scène. Elle a de vrais instincts de comédienne, et c’est fort dommage qu’une intelligence qui s’annonce si bien au théâtre ne soit point servie par une voix meilleure. Cette voix d’une personne de dix-huit ans a l’accent usé, vieillot ; les timbres, qui séparément ont parfois du bon, au lieu de se lier, de se fondre ensemble, se contrarient ; on dirait des cassures de cristal. Je veux bien que la nature y soit pour quelque chose, mais ce défaut-là se rencontre aussi trop souvent chez les élèves de Duprez pour qu’on n’en rende pas un peu l’école responsable. À ces premières soirées d’essai du Théâtre-Lyrique,