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Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 78.djvu/269

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boration au Publiciste qui amenait son mariage avec une personne d’une distinction rare, mais plus âgée que lui, Mlle Pauline de Meulan. Si dans ce monde mêlé de l’empire il y a un groupe auquel M. Guizot se rattache plus intimement, c’est ce groupe qui se réunissait autour de M. Royer-Collard, alors professeur de philosophie et doyen de la faculté des lettres. Dans les salons de Mme de Rumford et de M. Suard, M. Guizot n’était après tout qu’un hôte de passage accueilli avec intérêt, un jeune inconnu qui promettait et dont on se plaisait à encourager les premiers pas en lui trouvant des idées un peu étranges, un ton un peu dogmatique, en répétant quelquefois un mot de M. de Fontanes : « ces protestans, on ne les fait jamais céder. » La société de M.. Royer-Collard et de ses amis lui offrait plus que le charme de relations libérales et bienveillantes; c’était pour lui une sorte de patrie morale, il y trouvait des opinions, des goûts, des traditions, une gravité de mœurs, des vues sur le passé et sur l’avenir, des habitudes de spéculation philosophique qui répondaient à ses plus intimes pensées. M. Guizot, un des derniers venus dans ce groupe indépendant, était appelé, sans le savoir encore, à renouveler l’enseignement de l’histoire comme M. Royer-Collard renouvelait déjà l’enseignement de la philosophie, et c’était là entre ces deux hommes rapprochés par la main de M. de Fontanes le commencement d’une liaison qui n’a pas toujours résisté depuis aux épreuves de la politique, mais qui se fondait alors, malgré une grande différence d’âge, sur l’attrait mutuel de deux fortes intelligences, sur de singulières similitudes morales, sur des antipathies et des sympathies communes.

M. Guizot a raison de dire dans ses Mémoires que cette opposition de gens d’esprit ou de penseurs solitaires au sein de laquelle s’est formée sa jeunesse n’offrait aucun danger immédiat et prochain pour le régime impérial, que c’était une opposition toute de pensée et de conversation, sans dessein précis d’hostilité comme sans illusion, et que Napoléon ne faisait que céder à un puéril ombrage d’omnipotence quand il réprimait comme une conspiration cette tranquille résistance de l’esprit. Certainement ce n’était ni un mot courant dans les salons, ni une phrase, si éloquente qu’elle fut, glissée par Chateaubriand dans un article du Mercure de France, ni le livre de Mme de Staël sur l’Allemagne, ni une leçon de philosophie de M. Royer-Collard, ce n’était rien de tout cela qui menaçait l’empire dans son existence. Les destinées de l’empire, c’était l’empereur seul qui les jouait chaque jour sur tous ses champs de bataille, c’était la toute-puissance des armes qui pouvait seule prolonger ou abréger la durée d’un régime fondé sur la guerre et sur la conquête. L’esprit n’y pouvait rien, M. Guizot a