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laient la marche libérale de la restauration, qui se présentaient comme les seuls sauveurs de la monarchie compromise par les faiblesses ministérielles autant que par les menées révolutionnaires, et la situation était singulièrement simplifiée. Dans un camp passaient les ultra-royalistes, arrivant enfin aux affaires, ardens, impatiens de consolider leur victoire et d’en tirer parti, se précipitant dans une voie de réaction sociale, religieuse, sous un chef d’une intelligence plus souple et plus fine qu’élevée, tacticien habile et politique sans grandeur. Dans l’autre camp se pressait une opposition multiple, grossie de tous ceux que le changement de politique séparait du gouvernement, comptant dans ses rangs toutes les intelligences d’élite, résolue à la lutte, non moins ardente, confiante, elle aussi, car elle sentait le pays derrière elle.

C’était simple effectivement, et c’était redoutable. Un duel implacable commençait, et la charte devenait le terrain sur lequel on combattait. Louis XVIII, avec son cœur froid et son esprit avisé, n’était pas encore, il est vrai, l’homme des coups de tête qui perdent les dynasties. Sans ressembler à Charles II, il pouvait, comme le premier roi de la restauration d’Angleterre, avoir la chance de mourir la couronne au front; mais Jacques II n’était pas loin, — ni même Guillaume d’Orange. Jacques II était aux Tuileries, attendant son heure de royauté, encourageant la réaction avec une candeur étourdie, prêt à pousser les fautes jusqu’au bout et à disparaître dans un 1688 qui a duré dix-huit ans. C’est l’histoire de la restauration et des fatalités qu’elle s’est créées à elle-même.

Le rôle des doctrinaires dans ce drame politique de quinze ans a été aussi sérieux que décisif. Tant que le gouvernement de la restauration ne déviait pas de la route où il était entré à partir de l’ordonnance du 5 septembre 1816 et semblait accepter sincèrement cette belle et virile tâche d’être le fondateur, l’organisateur du régime constitutionnel en France, les doctrinaires, qui commençaient à être connus sous leur vrai nom et à étendre leur influence, restaient auprès de lui; ils l’aidaient dans ce laborieux enfantement d’un régime nouveau, et même, par une de ces combinaisons qui brouillent l’histoire politique, dans ces temps primitifs de la restauration, c’étaient les doctrinaires qui se faisaient les défenseurs jaloux des prérogatives royales, c’étaient les royalistes qui semblaient s’armer avec le plus d’ardeur des droits parlementaires. Après tout, les uns et les autres étaient dans leur rôle et savaient ce qu’ils faisaient, ceux-ci en se servant de la liberté sans l’aimer pour arriver à la domination, ceux-là en se serrant pour le moment autour d’un roi qui était le premier constitutionnel du royaume, et en ne refusant pas les moyens de vivre à des ministères éclai-