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Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 78.djvu/353

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l’on développe les affaires outre mesure en les appuyant seulement sur le crédit, on s’expose aux plus grands dangers; il arrive un jour où l’édifice, construit plus ou moins artificiellement, s’écroule, et ce jour-là on s’aperçoit que l’on avait travaillé dans les airs. Les opérations n’ont plus de ]3ase, et la monnaie métallique devient d’autant plus recherchée qu’on avait cru pouvoir s’en passer. Ainsi l’argument qu’on donne en faveur du maintien des encaisses d’argent par l’extension du crédit est précisément celui qui tendrait à les compromettre davantage, puisqu’il conduirait plus vite aux embarras, et que dans ces momens-là il n’y a pas d’encaisse qui résiste, qu’il soit en or ou en argent, à moins qu’on n’ait recours aux mesures les plus rigoureuses. Il est vrai qu’il y a des gens qui indiquent encore comme un préservatif des encaisses d’argent en cas de crise la difficulté matérielle de compter cette monnaie, la lenteur qu’on peut y mettre, et ils supposent que pendant ce temps la panique peut se calmer et la confiance renaître ! C’est là un argument puéril; il n’a d’abord aucune valeur dans les momens où la crise a pour cause l’absence même de numéraire, où il en faut à tout prix. Ce n’est pas la difficulté matérielle de le compter et le temps qu’on pourrait y mettre qui empêcheraient de le réclamer lorsqu’on consent à le payer 7 et 8 pour 100; si c’est la confiance seule qui fait défaut, la même difficulté n’arrêterait pas davantage. On l’a bien vu en 1848. La Banque de France avait tout son encaisse en argent, et il n’a pas fallu moins qu’un décret pour la mettre à l’abri des demandes de remboursement. Ainsi, soit qu’on envisage le double étalon au point de vue de l’avantage qu’on lui attribue de rendre les rapports plus faciles avec les pays qui ont l’une ou l’autre monnaie, soit qu’on l’examine à celui d’une fixité plus grande qu’il donnerait à la valeur des métaux précieux en général, soit enfin qu’on le croie plus favorable à l’extension du crédit, il n’y a aucun argument qui résiste à une discussion sérieuse. J’en cherche d’autres encore, et je n’en trouve plus qu’un, aussi nouveau qu’inattendu, qui a été présenté tout récemment, et qui mérite d’être examiné. On a dit, et c’est M. Wolowski surtout qui a soulevé l’objection[1] : Si vous démonétisez l’argent, vous vous exposez à donner une plus-value considérable à l’or ; peut-être en élèverez-vous le prix de 25 pour 100, ce qui équivaudrait, en ce qui concerne l’état seulement, à une augmentation des charges de la dette publique de plus de 3 milliards. Il y a heureusement dans cette hypothèse beaucoup d’exagération.

  1. Voyez un mémoire intitulé l’Or et l’Argent, lu le 5 octobre 1868 par M. Wolowski à la séance annuelle des cinq académies.