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les propos ne tarissaient point. Survint tout à coup Fritz Sahlmann, porteur de nouvelles à sensation, — l’amtshauptmann se promenait seul, sans chapeau, dans son jardin, et se parlait tout haut à lui-même. Le burmeister s’était dérobé pour rentrer chez lui sans dire mot à qui que ce fût. Friedrich, le garçon meunier de maître Voss, attendait à la porte du château, avec la charrette, sacrant, comme à son ordinaire, contre les « patriotes » et contre Dumouriez. Le meunier mettait le poing sous le nez du chasseur, qui se laissait narguer et honnir sans donner le moindre signe de colère.

— Fritz Sahlmann, vous nous faites là des histoires à dormir debout, répliqua la mamzelle. Êtes-vous bien sûr que ce Français ne remue plus ? M’accompagneriez-vous près de lui ? Je vous sais poltron, et je m’en rapporterai à vous, si vous ne refusez point.

Fritz ayant consenti : — Voyons, continua la prudente demoiselle, allez me chercher le garçon meunier ! Herr Droï voudra bien aussi m’escorter. Vous prendrez tous, pour me défendre au besoin, des engins qui percent et qui coupent. À ces conditions, je me risque.

L’escorte s’étant formée, la Westphalen se mit en route, plus lentement encore que de coutume, pour se rendre dans la chambre à coucher de l’amtshauptmann. Friedrich marchait en éclaireur, et Droï formait l’arrière-garde, Fritz voltigeant sur les flancs du corps d’armée. Un spectacle étrange les attendait. Le meunier attablé, tenant un verre de chaque main et les choquant l’un contre l’autre alternativement, buvait solennellement à sa propre santé d’abord, puis à celle de son hôte. Il avait ôté sa veste, l’ouvrage lui donnant chaud. Au-dessus de sa face large et souriante s’agitait le casque de cavalerie à longue crinière avec une aigrette pour plumet. Le grand sabre du chasseur, accroché je ne sais comment à sa taille épaisse, accompagnait chacun de ses mouvemens d’un cliquetis métallique. Quant au Français lui-même, il était couché sur un sofa, coiffé du bonnet de nuit et roulé dans la robe de chambre à ramages de l’amtshauptmann. Par une inspiration facétieuse, le meunier lui avait glissé dans la main droite une longue plume d’oie que le malheureux, complètement hébété, brandissait comme une épée.

Mamzelle Westphalen contemplait quasi pétrifiée ce spectacle sans précédens pour elle. Son premier mouvement quand elle eut repris l’usage de sa volonté fut de courir sus à l’ennemi revêtu des dépouilles de son maître. Elle lui arracha lestement le bonnet de nuit profané ; puis, étonnée elle-même d’avoir osé tant : — Friedrich, dit-elle, ôtez à cet impie la robe de chambre de monsieur ! et vous, herr Droï, enlevez la soupière dont ce meunier de malheur a couvert sa pauvre tête ! Désarmez-le par la même oc-