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— Je me rends à l’instant, dit le vieux magistrat. Neiting, vous le voyez, l’affaire presse. Allez me quérir dans son trou cet oiseau de malheur. Fritz, mon habit !

On peut juger de l’empressement avec lequel cet ordre fut exécuté. La frau amtshauptmann escortée de Hanchen et de Fritz Sahlmann, procéda au siège de la cachette où la mamzelle, obstinément réfugiée, ne voulait laisser pénétrer personne. D’abord elle fit la sourde oreille ; ensuite elle parlementa. Elle raconta longuement par quels artifices comminatoires Fritz Sahlmann, abusant de sa crédulité, l’avait amenée à trahir la confiance de ses maîtres et à lui passer furtivement une des saucisses conservées dans le grenier. — J’avais la tête perdue, disait-elle pleurant à moitié. Ce drôle me parlait du rathsherr chargé de chaînes, et d’un bataillon tout entier envoyé par les Français pour s’emparer de ma personne ; puis il s’entêtait malgré mes prières à rester sur cet arbre, d’où je m’attendais à le voir tomber... Quand il s’agit de vie ou de mort, je ne sais plus résister... J’ai failli, je le sais; j’en demande pardon à Dieu et aux hommes.

Une fois extraite de son grenier, et quand elle apprit que pour la première fois de sa vie elle allait être amenée au pied d’un tribunal, ses angoisses recommencèrent de plus belle. — On me traîne dans la gueule du lion... Je n’ai pourtant péché que par ignorance, honnêtement et dans de bonnes intentions... Aller me défendre de certaines imputations, voir incriminer mes rapports avec herr Droï, voilà qui est au-dessus de mes forces et de mon courage. Si l’amtshauptmann insiste, j’obéirai; mais il faut que Hanchen et Corlin m’accompagnent devant les juges. Il faut qu’elles affirment que j’ai passé la nuit avec elles.

Sur ce dernier point, on dut céder. Mme Neiting convoqua les deux suivantes, et dès que le troupeau féminin fut au complet, l’amtshauptmann donna le signal du départ, après que mamzelle eut dit un éternel adieu à sa bonne maîtresse; arrivée sur le seuil du schloss, elle se retourna vers ses compagnes : — Hanchen, disait-elle, dès que nous arriverons sur la place du marché, vous courrez chez le docteur Lukow, que vous prierez de venir assister à mes tortures. Il pourrait bien m’arriver quelque chose. Je me sens tout à fait capable de m’évanouir.


VII.

Le schloss, comme on peut voir, était sens dessus dessous; mais la ville s’agitait, elle aussi, et l’outrecuidance brutale des soldats ajoutait de nouveaux fermons à ceux d’une haine longtemps contenue. Les temps marchent, et avec eux l’esprit des peuples. En