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1806, quand Murat, Bernadotte et Davoust poursuivaient le vieux Blücher, qui de temps en temps, sanglier acculé, montrait ses terribles défenses à la meute victorieuse, — à Speck, par exemple, et à Waaren, — tout était bassesse, lâcheté, humiliation, oubli de la cause commune, aveugle obéissance aux caprices du triomphateur. Peu à peu cependant ce spectacle se modifiait. Le malheur apprend aux hommes non pas seulement la prière, mais la résistance. Le major Schill et le duc de Brunswick se montrèrent. Sans savoir où cela menait, la Basse-Allemagne s’agita. Lorsque Schill marcha par le Mecklembourg vers Stralsund, Bonaparte enjoignit aux Mecklembourgeois de lui disputer le passage. Ils obéirent encore, mais à Damgoren et Tribsees ils se laissèrent battre. On vit une compagnie tout entière de superbes grenadiers du Mecklembourg suivre comme prisonnière un seul hussard du terrible major. Était-ce lâcheté? J’en appelle au souvenir des campagnes de 1813 et 1814. Non, c’était mauvais vouloir pour la cause française et secrète sympathie pour la rébellion naissante. Un mouvement populaire commençait dans le Mecklembourg, et quand la Prusse se souleva, le Mecklembourg suivit avant tout autre état allemand l’exemple qu’elle lui donnait.

Et les temps marchaient toujours. Pendant l’hiver que les Français étaient allés affronter en Russie, la Providence fit tomber la brillante peau du serpent. Il revint transi, à moitié mort, demandant secours, implorant pitié. Le grand cœur de l’Allemagne s’émut, elle ne voulut pas ajouter à tant de désastres; mais, à peine réchauffé dans la couche tiède où l’hospitalité germanique lui donnait asile, le serpent se réveilla, et voulut encore une fois montrer son dard. Alors fut poussé le cri de guerre : A bas le buveur de sang !

Ce cri n’allait pas cesser de si tôt. Il était poussé non par une populace tumultueuse et sujette aux défaillances subites, mais par les meilleurs et les plus éclairés du pays. Les anciens parlèrent, les jeunes gens coururent aux armes; le feu gagnait : non pas un feu de carrefours et de places publiques, notre pays n’aime pas ces vaines et futiles démonstrations. Le feu dont je parle s’allumait dans chaque foyer domestique, et les voisins s’y venaient chauffer. Peu à peu, l’incendie gagnant sans éclater de proche en proche, tout le pays ne fut plus qu’une masse de charbons incandescens, un fourneau de forge poussé au rouge, où venaient se tremper les glaives prêts à sortir du fourreau pour la délivrance. Les Français ne voyaient encore ni fumée ni flammes; mais ils sentaient la chaleur croître et le terrain se dérober sous leurs pieds, comme un sable mouvant. Par un maladroit effort, ils tendirent les liens du commandement, ils aggravèrent le fardeau de l’oppression. Ceci ne fit que rendre plus marquée la volonté de ne plus leur obéir,