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l’Angleterre : il avait pour armes le mensonge, la dissimulation, et pour récompense de ses services il s’est fait combler de titres et de richesses. Deák n’a jamais eu d’autre moyen d’influence que son amour du droit et de la vérité, son bon sens et sa probité politique. S’il a contribué à raffermir le trône impérial ébranlé, ce n’est pas dans un intérêt dynastique, c’est pour permettre à la Hongrie de s’appuyer sur une Autriche régénérée. Et quant au prix de ses services, jamais il n’en voulut recevoir aucun, pas même des mains d’une nation reconnaissante. Il n’est guère d’exemple d’un désintéressement aussi absolu. Qu’il ait toujours refusé les honneurs et les richesses, on songe à peine à lui en faire un mérite, tant son âme paraît naturellement supérieure à ces avantages que les hommes de notre temps poursuivent avec âpreté. L’antiquité, l’âge moderne, nous offrent d’autres grands citoyens chez qui l’amour de la patrie avait étouffé toute vanité et toute cupidité; mais ce qui, même sur les cœurs les plus détachés des biens grossiers, exerce un grand attrait, c’est la popularité, l’applaudissement de la foule, la branche de laurier qu’offre la gratitude de tout un peuple. A cela même Deák parait indifférent; son seul mobile est l’amour de son pays, la seule récompense qu’il cherche, la conscience du devoir rempli.

D’après un usage qui remonte à l’époque où les rois de Hongrie étaient électifs, le palatin devait demander au peuple rassemblé s’il acceptait le souverain élu, et après la réponse affirmative il lui posait la couronne sur la tête. La dignité de palatin n’était pas occupée, et on était décidé à la supprimer : qui donc allait remplir cet office le jour du couronnement? Il n’y eut qu’une voix : c’est Deák, c’est lui qui a rendu l’auguste cérémonie possible, c’est donc lui aussi qui doit poser la couronne sur la tête de l’empereur. A la diète, un vote unanime proclama son nom. Il s’excusa d’abord avec douceur, puis, comme on insistait et qu’on voulait presque le contraindre à accepter, il s’emporta; le visage empourpré, furieux, il déclara qu’il donnerait sa démission plutôt que de consentir. C’est ainsi qu’il se déroba au plus grand honneur que le parlement pût lui décerner. L’empereur de son côté aurait désiré lui offrir quelque marque de sa gratitude. Deák ne voulut même point en entendre parler. Il n’y eut pas jusqu’au portrait de sa majesté impériale qu’il ne crût pouvoir refuser, non par manque de déférence, mais parce que, d’après lui, l’homme qui a fait son devoir n’a pas besoin d’en être récompensé. A la diète aussi on parla de lui voter une récompense nationale, comme le parlement anglais le fait d’ordinaire en faveur des hommes qui ont rendu au pays quelque service signalé; mais le projet fut abandonné : on savait trop bien que Deák refuserait avec indignation. L’empereur ayant demandé au