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De l’aveu du commissaire-général, ces causes ont pris dans ces derniers temps une force irrésistible. Il ne signale pas la plus puissante de toutes, les emprunts publics, tant de la part de l’état que de la part des villes. Cinq ou six milliards ont été ainsi détournés depuis quinze ans de leur destination naturelle pour aller se perdre dans les dépenses militaires ou les travaux de luxe. Les déposans ne s’y sont pas trompés; ils ont vu dans les emprunts la principale blessure par où s’échappent les capitaux. C’est une des réclamations qui se sont produites avec le plus de force, on ne peut pas espérer la passer sous silence. Après les emprunts publics viennent les autres opérations de bourse. Aux milliards absorbés par les emprunts sont venus se joindre d’autres milliards perdus dans toute sorte de fausses entreprises, tant en France qu’à l’étranger. Dans un département, on a constaté que 12 millions avaient été placés en valeurs espagnoles seulement. L’autorité publique ne peut pas mettre obstacle à ces spéculations; mais elle peut s’abstenir de les favoriser. On le lui demande avec énergie. « C’est surtout, ajoute le rapport, contre les valeurs accompagnées de primes et de lots que le sentiment général s’est manifesté. Ces chances de gains extraordinaires seraient, dit-on, un appât puissant pour les petites bourses, et dans cet ordre d’idées on a demandé que le ministère de l’intérieur refusât absolument toute autorisation aux loteries, même celles qui ont pour objet des œuvres de bienfaisance. »

A côté de ces grandes destructions de capitaux, les moyens à prendre pour faciliter à l’argent le chemin du sol n’ont qu’une importance secondaire. Que les emprunts publics viennent à cesser, que les entreprises aléatoires ne reçoivent plus les encouragemens du gouvernement, et l’argent suivra sa pente naturelle vers les placemens agricoles et industriels. On s’est généralement plaint que le Crédit foncier et le Crédit agricole aient manqué aux promesses de leur titre. « Le Crédit foncier, dit-on, a trop restreint ses opérations aux immeubles urbains, et ses prêts sont entourés de formalités si difficiles, de conditions si onéreuses, que la propriété rurale ne peut l’avoir recours. L’action du Crédit agricole a été encore moins sentie dans les campagnes, où l’absence de succursales et l’intérêt excessif des prêts éloignent les emprunteurs. » À ce sujet, M. Monny de Mornay fait remarquer avec raison que des illusions sont répandues dans beaucoup d’esprits sur la possibilité d’institutions de crédit spéciales qui prêtent à l’agriculture à un taux inférieur au taux général. Il aurait pu ajouter que ces erreurs comptent de jour en jour moins d’adhérens; on ne les a vues se produire dans l’enquête que par exception. Il serait injuste de les opposer à ceux qui demandent que l’action des institutions de crédit se fasse mieux sentir dans les campagnes, et que l’agriculture ne soit plus forcée