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verses qu’elle a traversées, et qui ont paru la réduire au rang de province et lui enlever ainsi tout droit à se proclamer une nationalité, la Belgique a toujours au fond gardé le même caractère, la franchise de cet esprit municipal dont l’hôtel de ville de Bruxelles est la suprême expression.

Si toute la vie joyeuse et toutes les pompes officielles des anciennes Flandres ressuscitent sur la place de l’hôtel de ville de Bruxelles, toute leur vie orageuse et populaire ressuscite sur le grand marché du vendredi de Gand. Réduite comme elle l’est aujourd’hui, cette place est encore singulièrement imposante; mais au moyen âge, quand elle présentait une étendue double, elle dut avoir quelque chose de réellement formidable. Ceux qui aiment à appliquer à l’histoire un certain système de génération spontanée, qui croient que la vie des nations se crée d’elle-même ses organes, peuvent s’autoriser de l’existence de cette place pour affirmer la vérité de leurs théories. Étant donnée une population turbulente, dont la révolte était l’âme, un champ d’émeute admirablement choisi s’est créé presque de lui-même dans les meilleures conditions possibles pour faciliter la rébellion et assurer au peuple en un clin d’œil l’exécution de ses volontés. Il était assez vaste pour contenir toute la population de la ville; quand il était rempli, Gand devait nécessairement être vide, et il ne devait rester au logis que les octogénaires, les malades et les peureux. Situé au centre de la ville, la foule pouvait en quelques minutes s’y porter de tous les quartiers à la fois, et, ses résolutions prises, se retirer sans encombremens anarchiques par toutes ces artères d’où avait découlé son déluge. A un signal donné, tous ces gens de métiers, laissant leurs portes ouvertes derrière eux et leurs boutiques à la garde d’une fillette ou d’un apprenti, débouchaient sur la place, étroitement enlacés bras dessus bras dessous, ou se poussant avec ce robuste coup d’épaule qui fut célèbre à Rosebecque : là ils se pressaient autour de l’orateur populaire, Jacob d’Arteveld, Jean Lyon ou Pierre Dubois, donnaient aux soufflets de forge qui leur servaient de poumons l’hygiénique exercice d’une heure ou deux de vociférations flamandes, amnistiaient un meurtre, en accordaient un autre, déclaraient en danger les vieilles franchises de Gand, décrétaient la guerre contre Bruges ou Audenarde pour le lendemain, puis retournaient achever l’ouvrage commencé. C’est à peine si la vie sociale devait être suspendue quelques heures par ces attroupemens périodiques, et certes rarement jour d’émeute dut être complètement un jour de chômage, tant cet organe essentiel de la vie gantoise était merveilleusement approprié à ses fonctions. Le marché du vendredi est le témoin historique de la véritable démocratie gantoise, qui est comprise tout entière dans un seul siècle, le XIV,