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après lequel elle décline pour ne plus se relever que sous des formes affaiblies. Dès lors le marché célèbre voit diminuer les bruyantes visites; mais dans ce court espace de quatre-vingts ans, que de choses cette place n’at-elle pas vues ! Elle a vu les convocations de Jacob van Arteveld, un des plus remarquables organisateurs des forces populaires qui aient jamais été, le véritable créateur de cette démocratie gantoise, informe jusqu’à lui et qui ne put survivre à ses traditions. Elle a entendu les députés gantois revenus de leur ambassade auprès d’Edouard III insinuer la trahison de Jacob et le peuple partir courroucé en vociférant : « Nous voulons qu’on nous rende compte du trésor des Flandres. » Elle a vu Jean Lyon, ex-favori de Louis de Male, se soulever contre son seigneur, et déclarant que c’en était fait des franchises de Gand, si les gens de Bruges pouvaient détourner la Lys à leur profit, lancer la terreur sur la cité et la guerre sur les villes voisines. Puis elle a vu les quatre capitaines des chaperons blancs se partager le pouvoir militaire, et lorsqu’ils eurent tous été tués moins un seul, le dernier survivant, ému d’une pensée patriotique, renouer la tradition du grand Arteveld, et présenter Philippe son fils aux acclamations du peuple. Nul monument dans cette ville de Gand, qui en contient de si divers, n’égale en importance historique ce vaste espace ouvert, bien tranquille aujourd’hui, mais où circule encore le fantôme de la démocratie flamande, et que l’imagination peuple sans efforts de la fourmilière humaine à têtes blondes, à barbes rousses, qui s’y agitait autrefois en brandissant ses marteaux de forge et ses barres de tisserand.

De Gand à Delft, la distance est moins grande qu’il ne semble au premier abord, car bien mieux que Bruges, bien mieux qu’Anvers, Gand, quoique moins au nord, est la véritable transition de la Flandre à la Hollande. Un souffle de Hollande se fait sentir dès qu’on est à Gand; c’est la même lumière douce, un peu moins pâle, la même fraîche verdure, un peu moins mate seulement; l’air y est déjà humide, les eaux commencent à prendre quelque chose de cette transparence qu’elles ont en Hollande. Historiquement aussi, Gand fait la transition de la Flandre à la Hollande, la commune gantoise étant de toutes les communes flamandes celle dans laquelle se manifestent le plus fortement les qualités propres au caractère hollandais, une indépendance entière, un radicalisme d’opinions sans mélange, une allure démocratique toute d’une pièce, sans alliage d’aucune de ces hésitations, de ces mouvemens de déférence et d’obéissance qui se remarquent dans l’histoire des autres municipalités de Belgique.

Ce sont encore des attroupemens populaires qu’évoque cette