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tourez-la de trois cercles fatidiques et arrachez-la en vous tournant vers l’orient, tandis que l’un de ceux qui vous accompagnent s’éloignera de quelques pas et adressera aux divinités contraires de violentes objurgations. Ces recommandations étaient à l’usage des audacieux ; il y en avait d’autres pour les gens timides, qui, afin d’échapper à la vengeance de la mandragore violée, avaient recours à un biais habile. Après avoir déchaussé à demi la racine, ils y attachaient un chien ; le chien l’arrachait du sol, et c’est sur lui qu’étaient censés tomber les maléfices de la solanée redoutable et courroucée.

L’action délétère de cette plante est aussi énergique que celle de la belladone, à en juger par le fait suivant, que racontent les auteurs anciens. Il s’agit d’une ruse de guerre dont Annibal fit usage contre les Africains révoltés, et qui rappelle de tout point la perfidie commise par les Écossais envers les Danois. Après une simple escarmouche, le général carthaginois feignit de battre en retraite, abandonnant sur le champ de bataille des vases remplis de vin dans lequel on avait fait macérer des racines de mandragore. Les barbares, joyeux de leur facile triomphe, se mirent à le fêter par de copieuses libations, et, quand le breuvage eut agi sur eux, les Carthaginois revinrent pour les achever.

Les morelles, en latin solanum, constituent le genre type de la famille. Ce sont des plantes herbacées ou arborescentes dont les très nombreuses espèces, — on en compte aujourd’hui près de mille, — croissent dans toutes les régions tempérées et tropicales. Dans cette foule immense, un petit nombre nous intéresse. Quelques morelles d’importation toute récente se distinguent par leur feuillage monumental ou par la beauté de leurs fleurs, et concourent à l’ornementation des parterres ; mais toutes ces solanées, même les plus belles, gardent cet air de famille dont nous avons déjà parlé. Quelques genres très connus se recommandent cependant par une incontestable utilité. À leur tête se place naturellement la morelle tubéreuse, qui n’est autre que la pomme de terre. Tout le monde en connaît les tiges rameuses et légèrement velues, les feuilles d’un vert sombre, les fleurs d’un blanc équivoque ou d’un violet que rend plus désagréable encore le voisinage des étamines jaunes, enfin les petits fruits ou baies sphériques qui noircissent à la maturité. Cette plante a la propriété de pousser des bourgeons souterrains dont l’extrémité se renfle en gros tubercules généralement oblongs et marqués de dépressions caractéristiques au fond desquelles se cache un œil, c’est-à-dire un autre bourgeon ; ces tubercules renferment une énorme proportion de fécule, les tissus en sont littéralement gorgés. La morelle tubéreuse est donc une bonne et utile plante alimentaire, et cependant la solanée se retrouve sous