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taines morelles plus ou moins fébrifuges, mais encore des solanées franchement toxiques. Cette action est constatée jusqu’à l’évidence. Est-elle pour, cela plus compréhensible? Non, à coup sûr. Qu’une même substance soit tour à tour remède, c’est-à-dire un modificateur salutaire de l’organisme, et poison, c’est-à-dire un désorganisateur des tissus, en d’autres termes qu’elle réalise, suivant la dose employée, le pour et le contre, une action et une autre diamétralement contraire, c’est là certes un phénomène difficilement explicable. Quoi qu’il en soit, l’éloquence des faits est sans réplique, et l’on est obligé de reconnaître que la toxicologie est un des élémens les plus importans de la thérapeutique.

Encore, si l’action physiologique était toujours uniforme! mais qui expliquera les différences, les exceptions, les démentis donnés à la science par la science elle-même, en un mot, les antinomies de la nature et de la vie? Ainsi voici la jusquiame, qui empoisonne très rapidement beaucoup de mammifères, les cerfs, les singes, la plupart des rongeurs, les oiseaux, les poissons, et qui ne nuit en rien ni aux vaches, ni aux chèvres, ni aux moutons, bien plus, qui, mêlée à l’avoine, entretient la bonne santé des chevaux, les rafraîchit et les engraisse[1] ! Faut-il s’étonner après cela des divergences que l’on rencontre dans les assertions des savans les plus autorisés, dont les uns prônent comme panacée universelle telle substance que les autres repoussent comme un dangereux toxique ou tout au moins dédaignent comme une matière inerte? La médecine expérimentale est parvenue à enregistrer quelques données certaines. Il est incontestable que presque toutes les solanées vireuses sont des prophylactiques efficaces dans bon nombre de maladies nerveuses. L’action de la belladone a de plus été fort souvent remarquée dans le traitement des rhumatismes, de la goutte, parfois même, assure-t-on, dans celui de l’épilepsie. Quant à la mandragore, c’est un narcotique stupéfiant employé dès l’antiquité la plus reculée comme un anesthésique d’une assez grande puissance. Enfin l’influence remarquable de l’atropine sur la pupille a été mise à profit par la chirurgie dans l’opération de la cataracte.

Le second type des poisons végétaux fournis par les solanées est la nicotine. Cet alcaloïde, découvert en 1829, est un liquide transparent, incolore à l’abri de l’air, mais se colorant d’une teinte jaunâtre par l’absorption de l’oxygène. Il est en outre caractérisé par une saveur brûlante, une odeur dont l’âcreté est intolérable, enfin par une vapeur tellement suffocante qu’il suffit d’une goutte évaporée dans une chambre pour en rendre l’atmosphère à peine res-

  1. Duchartre, Pouchet.